Le débat sur l’enseignement, les classes difficiles, la banlieue, n’est pas prêt de s’arrêter. Interrogez un individu au hasard dans la rue, vous êtes sûr qu’il aura son propre avis sur la question, et surement différent du vôtre.
Il n’y a qu’à voir le succès remporté par deux films récemment sortis sur ce sujet. « Entre les murs« , tout d’abord, Palme d’Or à Cannes en 2008, et qui montre les difficultés rencontrées par un professeur de français dans une classe difficile du 19e ou du 20e. Film réalisé avec de vrais élèves, suivis pendant un an. « La journée de la jupe« , ensuite, qui montre l’explosion d’un autre professeur de français, dans une classe difficile, suite à la découverte d’une arme. Film noir, plus tendu, plus nerveux, moins subtil aussi, ce film a connu un assez large succès lors d’une première diffusion à la télévision.
Ces deux films ne font qu’exposer les problèmes, dont tout le monde a bien entendu conscience. Aucun ne propose de vrai remède, ni de réelle méthode. Pensez-vous, ce serait bien risqué. Qui aimerait mettre les mains dans le cambouis, aller se frotter à ces collèges à risque, où la moyenne d’âge élevée (redoublements et failles successives) et l’origine sociale des élèves (ben tiens!) constituent deux des principaux obstacles auxquels sont confrontés les jeunes profs peu ou pas expérimenté.
Un auteur s’y frotte, pourtant, et non des moindres: Daniel Pennac, alias Daniel Pennaccioni, ancien prof de français (lui aussi, il doit y avoir une raison…). Dans un petit livre savoureux, « Chagrin d’Ecole« , il expose ses théories, que l’on peut résumer comme suit:
- Qu’un cancre, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, peut être « récupéré », « repêché », pour peu qu’on le souhaite; la preuve: il fut lui-même un cancre repêché par l’école « républicaine et laïque »
- Qu’il s’agit avant tout d’adapter son enseignement à son auditoire, et que si des méthodes scolaires sont adaptées à des élèves « scolaires » (entendez de bons élèves), une méthode plus originale, plus intelligente est nécessaire face aux cancres et autres « troublions de banlieue
- Que les réformes successives de l’enseignement visant à éliminer toute difficulté (comme le « par coeur » ou les dictées) sont débiles, et qu’avec un peu de bon sens, on parvient à intégrer ces deux socles de l’enseignement du français dans un programme même dans les classes les plus difficiles. Les exemples qu’il fournit, basés sur son expérience personnelle, sont extraordinaires.
- Que le marketing des produits de grande conso (baskets, iPod, etc.) fait des ravages, et qu’il est temps de libérer les jeunes élèves de cette forme d’esclavage, néfaste à l’apprentissage.
N’ayant pas été moi-même un cancre (on en croise peu à l’X, mais j’en ai croisé un paquet à Maimo…), je ne peux pas vous dire si son témoignage est juste ou non. Mais une chose est sûre, il faut s’insurger contre les faux cancres, ceux qui tirent gloire de leur faux état de cancre, alors que le sentiment qu’exprime Pennac, est bien celui d’un rejet, d’une incompréhension totale, d’une inadaptation. D’un désamour.
On n’est pas obligé de le suivre sur tous ses points de vue, surtout sur le dernier, développé vers la fin de l’ouvrage. Mais par la beauté de ses méthodes d’enseignement, par l’humanisme de son approche, par ce sentiment qu’un bon prof (comme le fut certainement Pennac) est une rencontre exceptionnelle, et par son invitation à redonner de l’amour à l’enseignement (ce dont il n’aurait jamais dû être privé), ce livre mérite de se trouver dans toutes les bibliothèques:
- dans celles des parents, qui y comprendront un peu mieux leurs propres enfants
- dans celles des profs, qui se décourageront (peut-être) un peu moins face à leur classe
- dans celles des établissements, en accès libre aux élèves
Il faut lire Pennac. Absolument. avant qu’on ne sache plus lire autre chose que la pub dans le métro.