J'ai pris connaissance d'une initiative assez peu commune, pour ne pas dire atypique. Une association d'esthéticiennes a décidé d'apporter son concours à des femmes atteintes d'un cancer et dont le traitement modifie l'aspect physique. L'association organise des ateliers pour apprendre aux femmes à redessiner leurs traits après une thérapie qui a laissé des traces. Ou encore, elle donne des conseils de coiffure pour celles qui ont perdu leurs cheveux : par exemple comment choisir entre perruques, turbans et foulards ou encore couvre-chefs.
Un cancer frappe toujours avec une brutalité inouïe. Non que ses effets soient nécessairement foudroyants, mais plutôt que la nouvelle résonne comme un coup de tonnerre dans un azur serein. Faire face requiert de la volonté et de la disponibilité d'esprit, a fortiori si le cancer impacte l'aspect physique. Il ne reste alors même plus la possibilité de "faire semblant de vivre normalement", le dernier recours d'un cancéreux.
J'ai eu un jour l'occasion de discuter avec une jeune fille qui voulait faire de l'esthétique son métier : je lui avais alors demandé quelles étaient ses motivations. Elle m'avait répondu qu'elle prenait plaisir à rendre les gens contents : en effet, elle jugeait que de se sentir plus beau apportait un surcroît de bien-être aux individus.
Le plus terrible, dans des traitement médicamenteux lourds, c'est qu'en altérant le corps, leurs effets finissent par porter atteinte à l'image de soi, et donc, à l'estime de soi. Quoiqu'on en dise, le corps et l'image qu'il renvoie sont, à cet effet, des éléments déterminants (mais pas les seuls).
Le mot cosmétique provient de "cosmèsis" en grec qui signifie parure. Or, cosmèsis est de même racine que Cosmos, en grec, qui, bien avant de désigner l'univers, signifie l'ordre. Pour les Grecs, il n'y a pas de beauté sans organisation, sans ordre, finalement pas de beauté sauvage.
A plus d'un égard, la cosmétique me semble l'héritière de cette conception du beau et le mépris dans lequel elle est tenue par sa grande soeur philosophe, l'Esthétique, me semble bien injuste. C'est ce que le beau, au sens philosophique,un Socrate ou un Platon, veulent absolument qu'il soit moral. Ainsi, dans le Hippias Majeur, Hippias d'Élis que Platon fait passer pour un lourdaud, propose deux définitions pas insensées : la première, c'est que la beauté, ce serait une jeune vierge (une jeune fille, quoi). Inconvénient, cela ne concerne que les hommes. Et puis Socrate lui fait observer qu'il y a aussi de belles juments, belles chèvres, et cetera...Il faut que le beau s'applique à n'importe quel objet. Hippias médite et triomphalement, annonce que l'or c'est la beauté, puisque l'or rend beau tout ce qu'il recouvre.Finalement, Hippias finira par dévier de son idée initiale, qui était de faire de la beauté quelque chose de matériel pour proposer la réussite sociale comme modèle de la beauté.
Dommage. Personnage décrié, il me semble qu'il avait pourtant touché juste avec son or qui rendait beau tout ce qu'il recouvre. Alors c'est un peu cette pensée que j'ai, avec mes esthéticiennes bénévoles. Leur rôle, finalement, à l'instar de notre Hippias, n'est-ce pas de couvrir d'or des femmes fatiguées et boursouflées par la maladie ? Des orfèvres de la cosmésis contre le cancer, voilà, comment je me les représente, ces faiseuses de beauté.