Et je me prends la tête à deux mains et je regarde et je ferme les yeux et je regarde encore et je me dis que je ne sais pas non non vraiment pas et que ça ne sert à rien, forcément à rien et j’ai mal au crâne et je voudrais que ça s’arrête et je me dis que la folie devient liquide, qu’elle coule dans mes veines, qu’elle a remplacé le sang et qu’au bout du compte tout dérape et tout ça pour quoi, hein, hein, tout ça pour quoi, finalement.
Et je suis effrayé.
Par la tournure que prend ma vie à l’aube d’un week-end où beaucoup se joue. Mais est-il bien sage de rajouter de la pression là où elle est inutile ?
Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Donner une lecture du monde aussi noire, une vision du quotidien si pleine d’accents dramatiques.
Parce que finalement, si je me mets à la place de quelqu’un qui vient lire ces lignes, qu’est-ce que ça peut faire que je finisse demain, dans 3 semaines, 6 mois ou jamais ? Je veux dire… ce n’est qu’un bouquin. Un stupide bouquin, un truc qui remplit les bibliothèques, un tas de papier que l’on trouve en occasion pour cinquante centimes chez Gibert, et même pour rien, au pied des arbres, quand un étudiant trop chargé n’a pas réussi à le revendre.
Tout ça pour ça, donc.
Et pourtant. Finir est devenu une question de survie, d’engagement de soi avec zéro recul. Une nécessité impérieuse, comme une envie de baiser que plus rien ne viendrait freiner. Finir. Aller au bout de.
Et cela prend le pas sur tout, défigure tout.
Ma vie n’est pas en jeu et pourtant quelque part elle l’est. J’en suis là, dans une série de contradictions incompréhensibles et un peu plus présentes chaque jour.
Et j’ai beau me dire que je dois y aller doucement sur la charge émotionnelle parce que la chute sera rude, cela ne marche pas. Mon monde, depuis ces derniers mois, ces dernières années peut-être, ressemble à un univers clos où il faut écrire ou mourir. Ou plus précisément : écrire ou ne pas exister.
Ne pas écrire, ce serait retourner dans le troupeau de ceux qui ne se posent pas de question. Prendre la voiture jusqu’au travail. Se dire que le dossier K doit être traité avant demain. Sourire en se disant qu’il n’y a plus que trois traites à payer pour la maison. Se demander ce qu’on va manger ce week-end. Se souvenir qu’il y a un bon film à la télé, ce soir.
Faire partie des gens heureux.
Mais non, moi je suis au dessus de ça, madame ! Taillé pour le malheur, entraîné pour le drame, il FAUT que je me prenne tout dans la gueule et que je l’écrive dans la foulée, il FAUT qu’il y ait du sang et des cadavres, sinon c’est pas drôle, vous comprenez, madame ?
Et j’ai beau avoir conscience de la futilité de tout ceci, je ne peux pas m’empêcher de le vivre.
Alors…
Il me reste une grosse quarantaine de pages.
J’ai tant besoin d’en finir.