C'est au ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, Jean Zay, que l'on doit la Création du Festival de Cannes. En toute innocence alors, la date inaugurale avait été fixée au 1er Septembre 1939. Louis Lumière avait accepté d'en être le Président d'honneur, une affiche avait été commandée à Jean-Gabriel Domergue qui y avait représenté la muse du cinéma, mais on sait, hélas ! ce qu'il advint : le 2 septembre 39, Hitler entrait en Pologne. Ainsi, avant d'avoir été ouvertes, les portes du palais du Festival s'étaient refermées sur cinq années de guerre.
Mais en 1946, les heures de violence s'étant estompées, le 7e Art s'éveillait à nouveau, tel la Belle au Bois Dormant et, le 20 septembre, l'ancien casino s'apprêtait à recevoir ce premier Festival qui allait avoir davantage l'allure d'une agréable manifestation mondaine que d'une compétition, puisque presque tous les films présentés seraient gratifiés d'un prix et où Grace Moore chanterait de façon vibrante la Marseillaise, reprise en choeur par les quarante" Voix d'Antibes".
Mais au fil des années, l'augmentation des participants et l'importance des enjeux économiques feront de ce rendez-vous un événement majeur, quasi incontournable pour les professionnels. Aujourd'hui, il est médiatisé au point de réunir 4000 journalistes représentant quelques 1600 médias de par le monde.
A partir de 1959, la création du Marché du Film accroît encore l'influence, devenue internationale, de ce Festival, qui s'est choisi un lieu privilégié entre mer et arrière pays touristique pour son rendez-vous annuel. Il faut avouer que le challenge était de taille mais que le pari sera tenu. Passeront ici et seront primés quelques-uns des plus grands chefs-d'oeuvre : La dolce vita, Le Guépard, Le Messager, Viridiana, Le salaire de la peur, Quand passent les cigognes, Mash, Andreï Roublev, L'arbre aux sabots, La ballade de Narayama, Mort à Venise, Kagemusha - et Cannes recevra tout ce qui compte dans l'art de la pellicule : les Carné, Clément, Chaplin, Truffaut, Welles, Losey, Polanski, Rohmer, Coppola, sans oublier quelques princes et maharajahs, ministres, écrivains et poètes, dont Malraux, Giono, Genevoix, Dutourd, Cocteau - et, bien entendu les stars...
En 1998, Gilles Jacob crée la Cinéfondation qui a pour objectif de sélectionner de courts et moyens métrages d'écoles de cinéma du monde entier, de manière à promouvoir les jeunes talents et leur permettre d'accéder à la réalisation de longs métrages. Désormais, ce seront un millier de films qui parviendront de tous les continents au Festival dans l'espoir d'être retenus. En 2000, Gilles Jacob sera élu président par les membres du Conseil d'administration et succédera à Pierre Viot qui occupait cette fonction depuis 1985.
Le Festival développe, depuis lors, une série d'actions en faveur des professionnels, ainsi que tous les moyens possibles pour le soutien à la création artistique internationale. En 2005, une nouvelle salle est ouverte en sein du Village et Cinéfondation initie un Atelier qui retient une vingtaine de projets dans le souci d'aider les réalisateurs à faire aboutir leur plan de financement. S'il s'affirme davantage chaque année comme un lieu de rencontre privilégié, le Festival de Cannes jouit depuis longtemps d'une renommée qui ne se démentit pas et a trouvé un bon équilibre entre qualité et commercialité, assurant aux films qu'il couronne un tremplin unique de diffusion, tout en s'attachant à promouvoir ce que l'on a appelé " le cinéma d'auteur pour grand public". Bien entendu, il a essuyé quelques scandales - on se souviendra, par exemple, de celui soulevé en 1973 par le film La grande bouffe - et a laissé passer des opportunités, commis des erreurs d'appréciation et des injustices, mais il a savouré ses heures de gloire et contribué à faire sortir de l'ombre des talents méconnus, et qui le seraient restés, sans son coup de projecteur souverain.
Ainsi, au fil des années, la rencontre cannoise se poursuit-elle avec persévérance et enthousiasme, sans exclure la nostalgie qu'inspire les saisons d'antan trop vite effacées. Grâce à lui, des centaines de personnes se voient ainsi intronisées dans l'univers cinématographique. Pour elles, il existe un avant et un après, car leur carrière s'est décidée là, en ce lieu où les rencontres inespérées décident des avenirs... Douze mille robes longues, quinze mille smokings, trois-cent mille bouteilles de champagne et cent fois plus de cannettes de bière, des bataillons de gardes en uniforme et de zélés intervenants, six tonnes de papier imprimé et des kilomètres de pellicule, c'est cela Cannes. Depuis qu'est apparue "l'écriture des lumières" aux environs de 1860, formidable mémoire de nos songes que l'on baptisa le 7e Art, Cannes n'est pas seulement un tremplin, une foire aux chimères, mais une sentinelle des talents. François Chalais, célèbre chroniqueur, en parlait avec lyrisme dans un article qu'il consacrait au festival le 8 mai 1986 :
" Ce minuscule recoin de planète ne se réduisait pas pour nous à de gracieux nombrils, à la douceur d'un ciel, à l'agrément de quelques propos, à des images superbement apprivoisées, à l'état naissant où, dans la lumière d'un couchant prodigieux, nous avons eu la révélation des plus grands noms, des oeuvres les plus considérables. Brusquement, des civilisations ont chancelé, des moeurs ont modifié leurs fondements. Des ruines véritables, dont beaucoup ne se sont pas relevées, nous ont rappelé qu'au-delà de l'écran, le monde existe, que nous en faisons partie, que seul le vent qui se confond avec le souffle de la liberté en active l'épanouissement, voire en prolonge la survie. Et il en sera toujours ainsi tant qu'une caméra continuera de tourner, pourvu que, derrière elle, rebelle aux diktats des snobismes et des censures, quelqu'un éprouve le besoin de connaître et d'aimer".
Et il est vrai que comme la peinture et la musique, le cinéma est capable d'apporter aux hommes un supplément d'espoir. Il est donc un art à part entière. Et ce festival, qui le sert et le défend grâce à l'expérience, à la sensibilité, à l'imaginaire des cinéastes, propose chaque année une nouvelle ouverture, une création, reflet du quotidien et découverte du futur.
Que la fête commence...