Lui aussi est en retard, mais vu l'heure et les circonstances particulières de ce rendez-vous, cela ne nous
étonne guère. Il est presque 20 heures et le Dr S. nous reçoit à la clinique pendant sa garde. Quand il apparaît finalement devant nous, il nous faut un moment pour le reconnaître. En pantalon vert
et blouse bleue, sa silhouette nous semble bien différente de celle que nous avions observée dans son cabinet, quand il nous avait reçu en jean et chemisette.
La tenue a changé, mais pas le discours. D'emblée, son naturel et sa proximité nous mettent à l'aise. L'AVA2C est toujours à l'ordre du jour, mais il faut bien envisager la césarienne au cas où
Salomé refuserait de sortir. Il s'enquiert donc de la date du terme - 18 mai - et nous explique qu'au-delà de cinq jours, la césarienne s'imposera. Face à ces explications, Gabrielle fait la
grimace. Je me rends compte qu'elle ne saisit pas le sens de ce qui vient de nous être dit, elle pense que le Dr S. refuse de laisser la grossesse se dérouler au-delà du 13 mai, cinq jours avant le
terme. Je suis moi-même incrédule; ai-je bien compris le fond de sa pensée ? Le Dr S nous propose-t-il d'attendre cinq jours après la date du terme ? Ses propos suivants viennent confirmer
l'improbable. « Voyons, le 18 tombe un lundi et je suis de garde le vendredi, je pourrais donc vous faire une césarienne le 22. » Alléluia !
Cette démarche n'a en réalité rien d'exceptionnel, le Dr S. applique simplement le protocole prévu pour tout accouchement par voie basse. Mais après toutes ces semaines passées à essuyer des refus,
à entendre des propos destinés à nous effrayer, à nous entendre dire qu'une grossesse avec un utérus bicicatriciel n'était pas comme les autres, notre perception de la norme médicale s'est peu à
peu décalée. Alors quand un obstétricien nous tient tout à coup un discours simplement "normal", nous avons du mal à en croire nos oreilles...
Surpris mais néanmoins ravis par cette excellente nouvelle, nous relatons brièvement au Dr S. la teneur de notre dernier rendez-vous à l'hôpital Nord. Il semble étonné des libertés de langage
prises par son confrère avec nous, mais ne charge pas la mule. Il nous rapporte simplement son expérience au sein de cet établissement - il y a pris des gardes il y a quelques années - et conclut
sur ce qui ressemble à un éloge aux compétences médicales de l'équipe de Nord, modéré par des réserves sur ses qualités humaines. « Il ne faut pas aller accoucher à Nord quand tout va
bien. »
Ça tombe bien, la grossesse de Gabrielle se déroule de manière idéale. Aucune complication, un bébé pas trop gros qui se présente bien... aucune raison de d'appeler la cavalerie, et aucune raison
d'imposer la péridurale. Sur ce point encore, les propos du Dr S. nous mettent en joie. Il nous avait déjà dit auparavant qu'aucun obstétricien à la clinique de Vitrolles n'imposerait la
péridurale, mais que tous seraient plus tranquilles s'il y en avait une. Il ne revient pas dessus, bien au contraire. Comme la sage-femme qui nous a reçu deux jours plus tôt, il souligne la hausse
du risque de césarienne qu'entraînent fatalement l'injection et le manque de mobilité qu'elle induit. En fait, il voit les choses comme nous : un accouchement physiologique, sans péridurale, qui se
déclenche naturellement et évolue sans complication aucune. Même si nous savons depuis longtemps que nous sommes dans le vrai, ça nous fait un bien fou d'être ainsi conforter dans notre
démarche.
On papote, on papote, mais avec tout ça, le Dr S. n'a toujours pas examiné Gabrielle. L'échographie de contrôle s'impose et vient confirmer l'estimation effectuée le mardi précédent à Nord : Salomé
pèserait 2,8kg.
- « On peut avoir des surprises, l'ordinateur n'est pas une balance... Mais de toutes façon, c'est un petit bébé. C'est très bien. Et vous connaissez le sexe ?
- « Si ça n'a pas changé, c'est une fille. Et nous allons l'appeler Salomé, répond Gabrielle.
- « Quelle drôle d'idée... Voilà ma Salomé, lance-t-il fièrement en sortant son portable de sa poche.
Sur l'écran, nous distinguons la photo d'une magnifique petite fille dont la chevelure bouclée occupe un bon tiers de l'image. « Ma femme et moi adorons vraiment ce prénom... » Le Dr S.
ne nous apprend rien, la sage-femme de la clinique avait déjà vendu la mèche sur cette concordance de prénom. Je n'y voit aucun hasard, juste un signe supplémentaire que nous sommes sur la bonne
voie, face à la bonne personne. Un sentiment qui ne peut être que renforcé par l'attitude de l'obstétricien durant l'échographie. À chaque nouvelle image, à chaque nouvelle mesure, il nous explique
ce qu'il fait et ce que nous voyons sur l'immense écran placé juste en face du siège où se trouve installée Gabrielle. Il prend même le temps de s'attarder sur le profil de Salomé. L'émotion,
encore une fois... Même si l'image est fugitive; notre petite princesse nous cache une partie de son visage avec une de ses mains. Patience...
La connivence avec le Dr S. est si évidente que nous prolongerions bien ce moment. Mais tout a une fin... et il fait une chaleur étouffante dans cette petite pièce ! Nous repartons avec une seule
pointe de déception. Nous avons tenté notre chance et demandé au Dr S. si nous pourrions l'appeler au cas où l'accouchement se déclencherait le mardi, jour de garde de l'obstétricienne qui refuse
l'AVA2C. Non seulement le mardi est son jour de repos, mais sa compagne, sage-femme, part la semaine suivante pour assister à un colloque; il devra donc s'occuper des enfants. « Il suffit que
Salomé ne pointe pas le bout de son nez le mardi, conclut-il. » Il suffit...