Mercredi 13 mai, Nicolas Sarkozy recevait un rapport "sur le partage de la valeur ajoutée, le partage des profits et les écarts de rémunération", rédigé sous la houlette de Jean-Philippe Cotis, le directeur général de l'iNSEE. Cet institut, justement, a publié il y a quelques jours l'une de ses dernières études sur l'évolution des revenus en France depuis 1996.
Alors que le taux de pauvreté avait régulièrement baissé de 1997 à 2003, il est reparti à la hausse, sans ralentir, à compter de 2004. La faute à Chirac ? La France compte de plus en plus de pauvres, l'un des constats dressés par l'INSEE dans son rapport intitulé "Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2009".
Cacher les inégalités
L'étude de l'INSEE est difficile à lire, comme le relève Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités. L'institut a changé deux fois de méthodologie en 10 ans, ce qui rend complexe les comparaisons pluri-annuelles. De surcroît, les informations fournies sont très parcellaires, alors que les données existent. Ainsi, l'INSEE arrête son échelle aux 5% les plus riches. Revenus du patrimoine compris, ceux-ci gagnent 4,06 fois davantage que les 10% les plus pauvres. Une comparaison qui laissent abusivement penser que l'éventail des revenus n'est pas si inégalitaires que cela. De même, l'INSEE constate que le niveau de vie médian des 5% les plus riches a augmenté de 30% entre 1996 et 2006.
Quand on demande à Brice Hortefeux pourquoi il ne veut pas d'un coup de pouce pour le SMIC, au-delà de sa traditionnelle indexation sur l'inflation au 1er juillet, il répond que le SMIC ne concerne que 13% des salariés, et donc qu'une telle mesure serait injuste. 87% des Français gagneraient donc davantage que 1300 euros bruts par mois ? L'INSEE rapporte qu'en 2006, le niveau de vie médian, qui partage la population en deux parties égales, était de 17 600 euros, soit 1 470 euros mensuels... Pas très loin du SMIC, non ?
D'autres études révèlent que les plus fortes inégalités se logent ailleurs : ainsi, d'après la récente enquête du magazine Capital, les revenus annuels des grands patrons vont d’une centaine à presque trois cents années de Smic...
La diversion présidentielle
Mercredi 13, le directeur général de l'INSEE remettait un nouveau rapport. On en connaissait les grandes lignes, grâce à des fuites des Echos :
1. Paradoxalement, le rapport pointe que la part des rémunérations dans la valeur ajoutée est restée plutôt stable depuis 30 ans, à 66%. Mais elle est très variable suivant les secteurs et la taille des entreprises. Ainsi, elle atteint 67% dans les PME, mais seulement 56% dans les entreprises de plus de 5000 salariés.En fait, comme le pointe ATTAC, le rapport Cotis est incomplet : sur une plus longue période, cette part est en baisse tendancielle évidente.
2. Le versement de dividende a pris le pas sur l'investissement: ainsi, la part des dividendes nets (versés par les entreprises, moins ceux qu'elles reçoivent) dans la valeur ajoutée a « pratiquement doublé depuis une dizaine d'années ».
3. Les écarts de croissance des salaires se sont accélérés; les très hauts salaires, ceux des 0,1 % de Français les mieux payés (13 000 personnes percevant plus de 297 600 euros par an) ont fortement augmenté depuis 10 ans. : + 2,51 % de salaire en moyenne par an au cours des dix dernières années, sans compter les stock options, les bonus, et autres parachutes complémentaires.
4. Les bénéfices sont très peu redistribués aux salariés: ils se répartissent à 57% pour l'investissement, 36% pour les actionnaires et 7% pour les salariés. De même, l'intéressement et l'épargne salariale captent toujours une part ridiculement marginale de la valeur ajoutée (1,5 %).
Pour l'auteur du rapport, « le choix d'une protection sociale de haut niveau » et le soutien au SMIC expliqueraient "en partie" la croissance « extrêmement faible » des salaires nets depuis vingt ans.
Au total, ce rapport livre un constat simple, que son auteur se semble pas vouloir expliciter : les salariés (sauf les plus gros) touchent moins, les actionnaires recoivent plus, l'investissement est contenu.
A quand un Grenelle de la précarité ?
Un collectif, le 2 mai dernier, s'est formé pour apporter sa pierre à cette réflexion d'ensemble: comment"créer 2 millions d’emplois, rééquilibrer le partage salaires-bénéfices et redonner du pouvoir d’achat" ? Il réclame la tenue d'Etats Généraux de l'Emploi. Il pointe surtout sur une lacune incroyable de la présidence actuelle : depuis mai 2007, Nicolas Sarkozy, le chantre du "travailler plus" a multiplié les "Grenelles" et les "Commissions" .... sauf sur le travail ! Incroyable, non ?
"Depuis des années, le chômage mine la cohésion sociale de notre pays. L’augmentation du chômage est aujourd’hui la conséquence la plus concrète et la plus grave de la crise : l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) annonce 800 000 chômeurs supplémentaires en France d’ici à la fin 2010. Le chômage de masse est l’une des causes de la crise financière. S’il y avait moins de petits boulots, moins de petits salaires, les ménages auraient moins besoin de s’endetter pour maintenir leur niveau de vie : on ne pourra pas sortir de la crise si on ne lutte pas radicalement contre le chômage et la précarité."
Les 16 et 17 mai, des "États Généraux du Chômage et de la Précarité" se déroulerontà la Bourse du Travail de Bobigny. On y retrouvera certains des signataires de l'appel du 2 mai, et aussi Maryse Dumas (CGT), Thomas Coutrot (Attac), Michel Husson (Copernic), Pierre Larrouturou (PS), Claire Villiers (Conseil Régional IdF), Jacques Rigaudiat (PG), Catherine Lebrun (Solidaires).
"Dans un contexte de crise historique, économique, sociale et écologique, avec une explosion sans précédent du chômage, l’enjeu de ces États Généraux est de réunir les salariés touchés ou menacés par les licenciements en cours, les fins de missions d’intérim et de CDD, les chômeurs et les précaires, car on part d’une situation où leurs luttes sont séparées. Or ils ont des intérêts communs car le chômage pèse à la baisse sur les salaires, et si les salariés ne se mobilisent pas pour avoir une indemnisation correcte du chômage, ils sont pénalisés s’ils perdent leur emploi. Actuellement, des mobilisations démarrent contre les licenciements, des luttes très fortes se développent contre la privatisation des services publics de l’éducation-recherche, de la santé, de la poste, mais les chômeurs restent isolés et ne s’organisent pas encore.
L’enjeu de ces États Généraux est aussi de sortir avec un texte cadre de revendications et un cadre commun de mobilisation. À cet égard on ne part pas de rien, une Plate-forme unitaire pour un statut de vie sociale et professionnelle garantissant un revenu décent pour tous et la continuité des droits sociaux (formation, retraite, logement, santé, papiers…) avec ou sans emploi, a été adoptée en 2006 et signée par plus de 15 organisations, associations et syndicats."