I.- C’est ce 13 mai 2009, anniversaire de la première apparition de Fatima, qu’ont choisi les producteurs du film “Anges et démons”, de Ron Howard, pour sa sortie en salle dans le monde entier. Il ne s’agit probablement que d’un concours de circonstances, mais un concours qui donne tout de même à réfléchir.
Ce film, on le sait, tiré du roman qui porte le même nom, est une suite du film tiré du roman de Dan Brown, intitulé “Da Vinci Code”, qui a fait frémir tant de midinettes en particulier dans les transports en commun parisiens, après avoir été pourtant accueilli à Cannes par des rires. Ce dernier roman a été suffisamment analysé pour qu’il ne soit pas utile ici de se plonger dans ce chef-d’œuvre de crétineries sur l’Eglise, qui sert, hélas, de source culturelle à tant de nos contemporains. Le roman "Anges et démons" a été l'objet d'une analyse critique par M. Jean-Michel OUILLON, dans un ouvrage intitulé Anges et Démons, autopsie d'une mystification, paru aux Editions du Félin en 2005.
Le journal Courrier international relève aujourd’hui que la sortie du nouveau film, où cette fois la science combat contre la croyance [le fanatisme, aurait-on dit au XVIIIème s.], a suscité une vive réaction de l’épiscopat… indien. « La Conférence des évêques catholiques a appelé le bureau de censure à bannir le film, "à moins que les producteurs ne suppriment certaines scènes et qu'il ne soit autorisé qu'aux spectateurs adultes", rapporte le quotidien indien The Telegraph. Selon le frère Joseph Kurian, de la Conférence des évêques indiens, "ce film pourrait porter préjudice au sentiment religieux. La chrétienté est mal comprise par la majorité des Indiens et beaucoup de non-chrétiens pourront penser qu'il s'agit là de la vérité."
Le même journal affirme - comme d'autres journaux - que le Vatican, qui avait vivement critiqué le roman Da Vinci Code et le film précédent qui en était inspiré, ne s’est pas encore exprimé. En réalité, l’Osservatore romano s’y est déjà attardé le 7 mai dernier, dans un article qui, il faut bien l’avouer, nous a laissés quelque peu sans voix. N’ayant pu trouver cet article, nous avons dû nous contenter de la recension qu’en a faite le site Zenit.org
II.- L’Auteur de cet article, non identifié, moins délicat que ses confrères (?) indiens, évoque avec détachement un film « plutôt inoffensif », qui aborde ces thèmes essentiels, « le mystère de la vie et de la mort, et donc le sens de notre vie et de notre mort », qui ne laissent pas de hanter les consciences contemporaines, malgré leur sécularisation. De là viendrait le succès du roman et du film. Pourquoi pas ? Puis vient une question étrange : « Mais alors, pourquoi un tel succès ne sourit pas à l'Eglise, qui diffuse le message évangélique avec bien plus de profondeur et d'intelligence ? » « Parce que, répond “l’auteur”, peu ont le courage de remettre en cause une identité voulue par le politiquement correct d'aujourd'hui, et Dan Brown offre religion et mystère au sein de cet enclos rassurant ». « Le mystère qu'il insère dans ses intrigues évite les questions profondes, se limitant à les contourner ».
L’Auteur souligne tout de même le simplisme de Brown, pour lequel « les bons sont toujours les progressistes en faveur du sexe et de la science (...) et les mauvais ceux qui s'opposent au nom de la fidélité à une tradition dure et fermée » et il ajoute que « cette vision simpliste et partielle de l'Eglise ait tant de succès (...) doit faire réfléchir ». Et il conclut : « Il serait probablement exagéré de considérer les livres de Dan Brown comme une sonnette d'alarme, mais peut-être sont-ils un stimulant pour revoir et ranimer les formes et les moyens médiatiques à travers lesquelles l'Eglise explique ses positions sur les thèmes les plus brûlants d'actualité ».
III.- Bien étrange nous paraît cette présentation en quelque sorte “concurrentielle” pour ne pas dire mercantile du problème, entre le message de Dan Brown, “qui passe”, et celui de l’Eglise qui est supposé ne pas passer, ou mal passer, malgré la meilleure qualité du produit proposé sur le marché… Bien étrange est aussi la morale de l’histoire, qui vient conclure que si le produit catho se vend mal c’est affaire, en quelque sorte, de marketing, avec le désaveu implicite mais tout de même assez marqué de la manière dont l’Eglise (et le Pape ?) exprime « ses positions (sic) sur les thèmes les plus brûlants d'actualité », selon l’expression stéréotypée en vogue. Etrange, d’une étrangeté que la publication de cet article dans l’Osservatore romano n’est pas faite pour dissiper.
L’Auteur, apparemment, est peu réceptif à l’aspect profondément antichrétien du roman, supposé "peu dangereux", comme au mensonge qu’il propage résolument sur la réalité historique de l’Eglise et sur l’Evangile même. S’il évoque les inquiétudes qui n’abandonnent pas les hommes sur leurs destinées, il ne nous explique pas pourquoi seule l’Eglise est ainsi la cible de la subversion de telles inquiétudes. S’il s’interroge sur le marketing ecclésial, supposé gêner la communication de l’Eglise sur « ses positions », il ne s’interroge pas sur l’existence et le sens de thèses, de romans et de spectacles qui donnent, aux esprits faibles et peu formés, de manière récurrente et exclusive, une vision dénaturée de l’Eglise et du christianisme, en connivence objective avec les desseins du Prince de ce monde. Qu’est-ce qui explique que l’expression des inquiétudes évoquées et les pseudo-remèdes proposés exigent de revêtir l’Eglise du masque de l’intrigue, du mensonge et de la haine ? Et pourquoi, après tout, ne pas accepter de considérer que de telles ouvrages, et que le succès qu’ils rencontrent, constituent pour un chrétien une sonnette d’alarme ?
IV.- Surtout, cette analyse finale nous paraît révélatrice d’un contresens profond. Elle procède de cette idée, au terme d’une assez pitoyable comparaison avec l’œuvre de Dan Brown, que le message évangélique pourrait atteindre tout le monde, pourrait être “efficace” en quelque sorte, pour peu que l’on y mette les formes. Les bonnes, qui sont évidemment supposées être celles que l’Eglise n’utilise pas, ou peu. C’est l’illusion de la méthode, qui a tant empoisonné l’Eglise en ces dernières années pour la rendre prétendument “acceptable” selon les critères du monde, dans la catéchèse, dans la liturgie, dans l’exercice du ministère sacerdotal, avec les éclatants succès que l’on sait, c'est-à-dire bien souvent la soustraction de l’essentiel, et la fuite de ceux qui ne s’approchent jamais de l’Eglise que pour le trouver.
L’Eglise, gardienne de l’ordre naturel et surnaturel, délivre son message sur la vérité de l’homme [ce qu'évoque
les "questions brûlantes"], et non pas « ses positions », dans l’exercice de sa vocation évangélique. Ce ne sont pas les formes prises par ce message qui heurtent (les fameuses
“maladresses” prétendues du Pape, par exemple), mais bien son fond, qui n’est pas compatible avec l’idéologie dominante, et qui ne lui devient acceptable que lorsqu’il a abandonné toute
prétention à la vérité. Vous pourrez prendre toutes les formes que vous voudrez pour expliquer que l’avortement provoqué est l’homicide d’un être humain innocent ou que l’hédonisme sert de
vecteur objectif et certain à la pandémie du sida, et que tous deux sont inhumains, rien n’y fera si vous vous heurtez à quelqu’un qui n’entend modifier ni ses vues ni sa vie sur l’un ou sur
l’autre.
L’Eglise n’est pas engagée sur une sorte de “marché aux âmes”, dont la captation serait le bénéfice des mieux-disant, des plus médiatiquement présents, même s’il est juste de dire que les chrétiens doivent être présents dans tous les moyens de communication sociale. Elle est engagée dans le drame du salut. Ce salut se joue dans la liberté de chacun, avec le concours de la grâce, entre les séductions mensongères de l’Ennemi – auxquelles participe objectivement le spectacle que nous évoquons, qu’on le veuille ou non – et les appels lancés par l’Eglise, qui a les promesses de la vie éternelle, à suivre le Christ, Voie, Vérité et Vie.