Une cellule de la prison de Berlin-Hohenschönhausen, ex-Allemagne de l’Est (photo personnelle)
Depuis deux ans, mes propres travaux d’écriture m’ont menée à la rencontre de lieux et de gens fascinants à Berlin. Ces lieux et ces personnes portent tous la marque de l’oppression du régime de la République Démocratique d’Allemagne.
C’est ainsi que pour mes recherches, et pour la deuxième fois depuis 2007, j’ai visité la prison de Hohenschönhausen à Berlin, où étaient enfermés les opposants au régime. Une prison mystérieuse, dans un lieu gardé secret par la Stasi, la police politique de la RDA. Repassez-vous le début de La vie des autres, et vous y verrez, dès les premières images, les effrayants couloirs de ce centre de détention où la torture psychologique régnait en maîtresse.
Le plus extraordinaire, lors de ces visites guidées de la prison, est que vous êtes accompagné par un ancien détenu. Pour les victimes de la Stasi, parler de leur expérience à Hohenschönhausen est un moyen efficace d’”en finir”, comme ils le soulignent. Et de garder la mémoire intacte pour les générations à venir.Il faut bien avouer que la Stasi mettait les petits plats dans les grands quand il s’agissait de terroriser les détenus. Cellules d’isolation où la lumière ne peut jamais être éteinte, pas le droit de parler, une seule douche par semaine, des interrogatoires en plein milieu de la nuit, des privations de sommeil, interdiction de communiquer avec l’extérieur par lettres, et des mensonges à gogo pour faire craquer les prisonniers : votre femme est morte dans un accident de voiture, votre petit ami vous a quitté pour une autre, votre fils est à l’hôpital, votre mère ne veut plus entendre parler de vous.
La jeune photographe Franziska Vu (33 ans) a publié en 2005 Inhaftiert-Detained, un livre de photos sur la prison de Hohenschönhausen, accompagné d’interviews de détenus, en anglais et en allemand. Ce livre est un document de qualité étonnamment agréable à lire, en dépit de la douleur dont il témoigne. C’est aussi un bouquin sacrément audacieux, dans un pays où l’on a encore beaucoup de mal à parler de la Stasi. En RDA, presque la moitié de la population espionnait l’autre moitié pour le compte de la Stasi. Comment, aujourd’hui, peut-on mettre la moitié d’un pays au ban de la société? L’Allemagne a encore beaucoup de blessures à panser.
Les anciens détenus racontent, dans Inhaftiert-Detained, leur parcours rocambolesque depuis leur arrestation jusqu’à leur sortie de prison. Comme Herbert Paff, 75 ans, arrêté de façon absurde, pour avoir trouvé dans la rue un passeport qu’il avait voulu remettre à la police. Après un premier enfermement, la haine de Pfaff envers le régime était telle qu’il est devenu résistant activiste, et a écopé de huit ans de taule de plus, dans des conditions inhumaines. Mais rien n’a pu l’abattre et il se bat encore pour témoigner de toute sa force aujourd’hui, malgré le tabou. “Je suis bien conscient que de telles injustices sont commises aujourd’hui dans des pays comme le Chili ou la Chine, et dans des pays qui insistent pour devenir membres de l’Union Européenne“, soulige-t-il.
Inhaftiert-Detained est un livre étonnant qui lève un coin de voile sur les méthodes de la Stasi sans verser dans le document scolaire. On parle peu de ce thème en France (à tort) et le fait que ce bouquin soit également en anglais est une chance pour les lecteurs internationaux. Vous pouvez vous le procurer facilement sur les librairies en ligne.