Guerre totale à swat, exode de centaines de milliers de civils

Publié le 13 mai 2009 par Anomalie

REPORTAGE - La guerre contre les talibans a chassé de chez eux des centaines de milliers d'habitants. Ils en veulent aux islamistes, mais aussi à l'armée et au gouvernement qui n'ont rien prévu pour eux. Le Figaro.



À la sortie de Peshawar, un immense panneau affiche des photos de l'exode. Le pire qu'ait connu l'Asie du Sud depuis la partition en 1947. Elles sont accompagnées de ces mots : «Que l'on déclare notre province zone affectée par la guerre !» Depuis le début de l'offensive de Swat, il y a dix jours, il y aurait, selon l'ONU, plus d'un demi-million de déplacés dans la province frontalière du Nord-Ouest (NWFP). Et plus de 300 000 habitants, prisonniers dans la vallée de Swat, attendraient la prochaine levée du couvre-feu pour fuir. Certains sont partis sans rien et ont atterri dans des camps mal préparés ; d'autres, moins nombreux, ont trouvé refuge auprès de parents ou d'amis.
 

À une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Peshawar, non loin de Mardan, Jalala offre le spectacle désolant de tous les camps de réfugiés. Sous un soleil de plomb, des hommes et quelques femmes font la queue pour se faire enregistrer, recevoir de maigres rations d'eau et de nourriture. Une vieille femme pleure parce qu'elle ne trouve plus sa carte. Des gosses au regard triste, les vêtements souillés, se font houspiller par les adultes.


        

Sharif Khan tenait une station d'essence dans le district de Dir. Il en veut aux talibans, mais aussi au gouvernement et à l'armée. Il n'est pas le seul. «À cause des talibans, je n'avais déjà plus de travail depuis longtemps, mais c'est l'armée qui nous a tiré dessus», lance-t-il. Plus de 8 000 personnes s'entassent à Jalala. Noor Badshah, le responsable d'al-Khidmat, le bras humanitaire du parti religieux Jamaat-e-Islami, la seule organisation visible dans le camp, le dit haut et fort, «le gouvernement aurait dû préparer la situation avant de lancer l'offensive militaire». Et, insinue-t-il, «qui sont ces talibans ? Ce ne sont pas des locaux ; ils sont armés par les États-Unis, l'Inde, Israël.» Avec la tragédie, la théorie de la conspiration, chère aux Pakistanais, refait surface. Même s'il y a des exceptions.
La peur paralyse les civils
 

Ziauddin Yusafzai en fait partie. «La menace islamiste est un serpent que le Pakistan a nourri en son sein pendant soixante ans. Maintenant, il lui crache son venin à la figure», affirme ce directeur d'école de la vallée de Swat. Toutes tendances confondues, militaires ou civils, les dirigeants qui se sont succédé à Islamabad se sont crus bien malins, essayant de bâtir une politique étrangère agressive en «fabriquant» des djihadistes, dit-il. Contre l'Inde, à l'est ; et, à l'ouest, pour trouver en Afghanistan la fameuse «profondeur stratégique» jugée vitale pour s'en protéger… «Aujourd'hui, ils gangrènent l'ensemble du pays», poursuit-il. Selon lui, il est urgent que le Pakistan se recentre sur ses propres problèmes.

Ziauddin Yusafzai est resté à Mingora, la capitale de la vallée de Swat, jusqu'au dernier moment. Depuis trois jours, lui aussi est un réfugié dans son propre pays. Il a rejoint le flot des centaines de milliers de déplacés qui affluent à Peshawar, à Mardan… Après avoir mis sa famille en sécurité à Shangla, un district situé au nord de Swat, Yusufzai a rallié Peshawar où il a trouvé abri auprès d'un groupe d'intellectuels. Ensemble, ils ont créé, il y a un an, l'Ariana Institute of Regional Research and Advocacy, un think-tank qui s'est donné pour tâche de réfléchir à la manière de débarrasser le pays du terrorisme islamiste. Car l'enseignant en est convaincu : même si «cette fois l'armée a l'air déterminée à écraser les militants à Swat, cela ne servira à rien tant que la société civile n'aidera pas, elle aussi, à éliminer les talibans». Reste à la convaincre d'agir.

        

Ce ne sera pas facile, reconnaît-il, prenant pour exemple son école. «L'accord passé avec les talibans en février exigeait la réouverture des écoles de filles fermées sous leur pression. Dans mon établissement, les classes pour filles ont repris… mais les professeurs se sont désistés. Les hommes disaient qu'il est contraire à l'islam d'enseigner à des filles. En fait, ils avaient peur d'un retour des talibans.»
La peur, Aftab Alam, connaît. Président de l'association des avocats du district de Swat, il a été dans la ligne de mire des islamistes plus souvent qu'à son tour. Dans un petit cabinet de la haute cour de justice de Peshawar, où il s'est replié il y a deux jours, il raconte sa vie des derniers mois à Mingora. «Une fois, j'ai reçu un coup de fil des talibans à 2 heures du matin. Ils m'ont dit que si je ne renonçais pas à porter mon costume d'avocat, il deviendrait mon linceul. Une autre fois, ils ont tiré sur ma voiture, une balle a pulvérisé mon ordinateur, mais elle est ressortie par la vitre opposée.» Il a fini par quitter la ville en catastrophe… à cause de l'offensive de l'armée.
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