Note : 8/10
Vu en DVD hier : le Prestige, un film très intéressant.
Le casting, d’abord, est impeccable : Christian Bale, Hugh Jackman, Michael Caine et Scarlett Johansson campent les rôles principaux avec talent. Mais c’est surtout l’intrigue, soignée et complexe, qui retient l’attention. Le film de Christopher Nolan raconte la rivalité de deux jeunes illusionnistes londoniens à la fin du XIXe, obnubilés qu’ils sont par la mise en place de tours qui repoussent toujours un peu plus les frontières du vraisemblable.
Le premier intérêt du film, c’est de montrer à quel point les mondes de l’illusion et du progrès technique sont en fait liés. Pour créer l’illusion, il faut mettre en place des mécanismes ingénieux (et parfois cruels : cf le sort réservé aux oiseaux) qui nécessitent une réflexion approfondie et un appareillage virtuose. Tout ne tient pas qu’à la simple illusion d’optique ou au talent de "détourneur d’attention" du prestidigitateur : encore faut-il que l’ingénierie suive. Cette quête obsessionnelle amènera d’ailleurs le grand Danton (Hugh Jackman) jusqu’aux Etats-Unis où il rencontre Nikola Tesla, l’un des pères de l’électricité. Son but n’est rien de moins que pouvoir se "transporter" d’un lieu à un autre, ceci afin d’imiter le meilleur tour de son rival (Christian Bale).
Le deuxième intérêt du film, c’est de créer un climax dramatique en mettant en scène la rivalité de plus en plus violente et démesurée entre les deux magiciens. Chacun voulant rendre à son adversaire coup pour coup, en montant crescendo, le spectateur est emporté dans cette spirale qui donne à chacun à tour de rôle l’impression qu’il se joue de l’autre. Ce chassé-croisé perpétuel, qui n’est pas sans évoquer les échecs ou le billard à 48 bandes (qui manipule l’autre en lui faisant croire qu’il est manipulé ? qui a le mieux anticipé les coups suivants ? qui a échafaudé le plan le plus machiavélique ?), conduit à une enfilade de rebondissements qui ne nous laissent jamais en repos et nous maintiennent, jusqu’au bout, incertains quant au dénouement.
Plus profondément encore, le Prestige est évidemment une mise en abyme de l’art cinématographique. En effet, alors qu’elles sont censées montrer la réalité, les images mentent souvent. Peut-on réellement croire tout ce que l’on voit, et plus encore : doit-on faire confiance au metteur en scène, démiurge qui tisse sa toile et nous conduit là où il veut nous conduire, c’est-à-dire parfois sur de fausses pistes (avant qu’un rebondissement ne nous amène à reconsidérer sous un autre prisme tout ce que nous venons de voir) ? De Hitckcock à M. Night Shyamalan, nombreux sont les cinéastes jouant sur cette veine – et c’est en creux à tout cela que renvoie le Prestige à travers la figure, ô combien métaphorique, de l’illusionniste.
Bien ironiquement, et à l’inverse, le grand Danton sera victime de la problématique inverse : ne comprenant pas le tour le plus fameux de son rival, et refusant de voir la réalité prosaïque que ce tour cache (celle que lui indique pourtant le personnage de Michael Caine), il cherchera à tout prix une autre solution, contre-nature et même sur-naturelle, qui pourrait bien le conduire à sa perte.
Le film de Nolan s’interroge aussi sur la figure du double : ce sont d’abord les personnages de Jackman et Bale qui peuvent être considérés comme deux frères ennemis, tous deux dévorés par la même passion, la magie, tous deux gravitant à un moment donné autour d’une image féminine. Mais cette image du double, l’intrigue avançant, se fait encore plus omniprésente et vertigineuse : je ne peux toutefois en dire davantage, risquant sinon de dévoiler la chute du film, doublement (c’est le cas de le dire !) surprenante et qui décuple, en miroir, le sentiment de tournis du spectateur.
Cette analyse pourrait s’arrêter là mais, une nouvelle fois, mon esprit mal tourné m’a conduit à dresser un parallèle avec l’actualité politique. Un peu comme je l’avais fait il y a quelques temps avec ma lecture sarkozyste de Spiderman 3.
Je n’ai pu m’empêcher de penser, témoin de cette combustion des égos qui brûle Jackman et Bale, et témoin de ce désir de leurrer l’autre et d’avoir toujours un coup d’avance sur lui, au feuilleton Sarkozy-Villepin dans l’affaire Clearstream. En effet, que nous dit-on depuis ces dernières semaines ? Qu’il est bien difficile de dire qui, de Sarkozy ou de Villepin, manipule l’autre. L’on croit à un moment donné que l’un des deux a définitivement pris l’ascendant sur l’autre, mais peut-être après tout qu’un nouveau rebondissement va renverser les rôles et faire de la victime le bourreau, et vice-versa. Qui tire les ficelles, qui est à la source de la machination ?
Gageons que le dénouement de cette affaire sera moins spectaculaire et terrible que celui du Prestige.