Serait-il possible, en fin de compte, que le Dieu de la gaudriole, des gros mots pour adultes et de la critique de la raison impure ait fini par entendre les prières qui, par milliers, tentaient depuis quelques mois de s’élever jusqu’à Son Auguste Oreille ?
(oui, car le Dieu de la gaudriole, des gros mots pour adultes et de la critique de la raison impure a ceci en commun avec Vincent Van Gogh qu’il ne dispose plus que d’une oreille unique, de surcroît équipée d’un sonotone antédiluvien, dont les piles LR6 ont été fabriquées bien avant la tendance écolo actuelle et ne sont donc pas rechargeables, ce qui est bien dommage, mais ceci est un tout autre sujet).
Depuis l’été 2008 en effet, notre Douce France est littéralement déchirée en deux suite à ce qu’il est convenu d’appeler une affaire d’état, et que tout le monde s’accorde à nommer l’affaire Siné.
Depuis l’été 2008, donc, éclipsée, la crise économique mondiale.
Balayés, les conflits territoriaux planétaires.
Oubliée, l’épidémie de SIDA.
Au placard, le chômage, les délocalisations, les fermetures d’usines et le tour de poitrine de Carla Bruni.
Car l’adepte du Culte de la gaudriole, des gros mots pour adultes et de la critique de la raison impure n’est pas un citoyen comme les autres.
Contrairement au Français moyen qui, lui, suit avec angoisse les courbes de l’emploi et cherche tous les moyens à sa portée pour boucler ses fins de mois sans avoir à vendre sa progéniture à un cynique Thénardier (ou à l’amputer du pied gauche afin de l’envoyer quémander quelques centimes d’euros à la sortie du Fouquet’s), le disciple du Culte de la Gaudriole (je te la fais courte) a du temps à perdre et des (grandes) idées à défendre.
Ainsi, au cours des derniers mois, a-t-on vu fleurir, sur internet notamment, des centaines, que dis-je des milliers, de polémiques enflammées.
Des gigabits d’invectives fielleuses ont coulé sur des dizaines de milliers d’écrans au bord de la surchauffe, à tel point que l’élite pensante de notre beau pays (ou du moins ce qui lui en tient lieu) s’est sentie obligée, pour ne pas louper le tramway en marche, d’y ajouter son grain de sel.
De pétitions en tribunes de presse, de comités de soutien en blogs engagés, tout ce que le marigot microcosme compte de journalistes, philosophes, artistes, cireurs de (coûteuses) chaussures italiennes et amuseurs publics y est allé de son commentaire avisé, de sa diatribe rageuse ou de sa signature distinguée.
Philippe Val (tendrement rebaptisé "Pétain" par ses adversaires les plus farouches) tournait en boucle sur la plupart des stations de radio (et sur les plateaux de toutes les émissions de télé un tant soit peu regardées), tandis que Siné (affectueusement surnommé "Adolf" par les amis de ses ennemis) faisait la "une" de la plupart de nos vénériens vénérables quotidiens et s’attirait même les faveurs des citoyens du Groland (dernier bastion de la contestation véritable, paraît-il, et non pas programme télévisé branchouille pour bobos désireux de s’encanailler dans le caca-boudin post-Collaro Show).
Des centaines de litres de larmes de rage ont coulé.
Parfois, le sang a giclé (virtuellement parlant, bien entendu, la pugnacité des grands défenseurs des nobles causes ne s’exprimant jamais aussi bien que sur un clavier d’ordinateur).
Des couples se sont sans doute déchirés autour de cette question ô combien cruciale (et qui, je te le rappelle, réduit les problèmes socio-économiques internationaux à de vulgaires peccadilles enfantines de cour de récréation):
Siné était-il un affreux antisémite admirateur de Brasillach?
Val était-il un dictateur néo-libéral aux idées pétainistes à la solde de Georges W. Bush?
Et de Charlie ou de Siné Hebdo, quel canard était le plus apte à provoquer l’hilarité du disciple du Culte de la Gaudriole?
Il faut espérer que les esprits en ébullition seront (un peu) apaisés par la nouvelle qui vient de tomber sur les téléscripteurs du monde entier (oui, car la terre s’est arrêtée de tourner depuis ce jour fatidique de l’été 2008, et six milliards d’individus avaient les yeux tournés vers notre beau pays, salutairement oublieux des famines, guerres civiles et autres épidémies qui ravageaient leurs contrées).
Car le Dieu de la Gaudriole, des gros mots pour adultes et de la critique de la raison impure semble avoir fini par décider de faire un geste.
Figure-toi qu’après avoir (mollement) démenti ce qui n’était, selon lui, qu’une "folle rumeur", Philippe Val, notre Voltaire national, cet héritier des Lumières que même les Républicains yankees nous envient, vient d’annoncer officiellement qu’il quittait la direction de Charlie Hebdo pour un poste de flagorneur encore non officiellement défini sur l’antenne de Radio France (attends-toi bientôt à voir le célèbre slogan de France Inter, écoutez la différence, se transformer subtilement en un magnifique et novateur écoutez la déférence).
Il faut croire que rouler de solides patins au pouvoir en place reste encore le meilleur moyen de se faire une place au soleil (et ce ne sont pas Eric Besson ou Bernard Kouchner qui viendront me contredire, eux dont les coups de langue sont réputés pour être les plus profonds et les moins complexés).
Quant à moi, je ne peux qu’espérer que cette nomination me permettra enfin de retrouver, lors des dîners chaleureux que je partage parfois avec mes merveilleux amis, des sujets de conversation certes bien moins importants, mais enfin légèrement plus (a)variés (ceci est effectivement un message personnel destiné à un public restreint, qui se reconnaîtra sans mal).