Le narrateur, professeur de lettres, effectue un voyage scolaire à Buchenwald où son regard est happé par un cliché qui représente un tortionnaire nazi, médecin du camp, avec un individu dont la ressemblance frappante avec son propre père le trouble instantanément. Après quelques recherches, l'homme met à jour un secret de famille.
Et c'est pas à pas que nous suivons son enquête, il n'y a pas d'autre mot pour décrire la construction du roman, c'est minutieux, palpitant et digressif. C'est aussi subtil, intelligent et brillant. L'auteur, ou le narrateur, nous raconte son histoire comme s'il se la racontait à lui-même, pas d'effet de style trop lourd, pas de pathos, juste des faits, des noms, des anecdotes. Il remonte le temps, il recompose des visages, il expose des théories et il se perd dans le dédale de l'Histoire, dans celui des mensonges et des silences également.
Il ne s'agit pas d'un énième roman sur la Shoah, et n'attendez pas non plus que l'on vous révèle la véritable origine de la violence, tout dans ce roman est terriblement personnel. Le narrateur, en fin observateur qui veut trouver des réponses à ses questions, traite de l'origine de tous les maux, et particulièrement de cette violence qui grouille en lui depuis l'enfance, de son intérêt pour la question juive et l'horreur des camps, pourquoi s'est-il senti interpellé par ce chapitre, et comprendre aussi l'idée du Mal absolu, qu'on ressent à l'intérieur de soi, qui vous taraude et ne vous lâche plus, du genre marche ou crève... Plusieurs fois il le répète, il s'intéresse autant aux victimes qu'aux bourreaux. Pourquoi ?
C'est aussi et avant tout l'histoire banale et terrifiante d'un type très beau et ambitieux, qui voulait épouser une femme pour de l'argent, qui en aime une autre parce qu'elle est son double, et qui sera déporté dans un camp à cause de tout ça.
Notre narrateur est l'héritier de cette lourde histoire familiale, « Je suis mon grand-père livré aux bourreaux, je suis mon père frémissant d'une violence suicidaire, je suis l'héritier d'une immense violence qui traverse mes rêves et mes récits. »
Et c'est très difficile de parler d'un tel livre, il est riche en secrets et en révélations, voilà pourquoi il est nécessaire de le lire en toute innocence. C'est un roman époustouflant, qui vous agrippe et ne vous lâche plus avant la fin, et c'est fort, c'est prenant, c'est éblouissant.
Je vous le conseille sans attendre !
Et puis il y a ce petit caillou à ramasser dans sa poche :
« Des hommes et des femmes à prénom et sans prénom, à histoire et sans histoire, des bons et des mauvais, des ni mauvais ni bons, des beaux et des laids, des lucides et des fous (...) Comme nous tous, ils n'ont aucune importance particulière et chacun d'eux, pourtant, est l'âme du monde (...) »
Le Passage, 2009 - 315 pages - 18€
Fabrice Humbert est également l'auteur de : Biographie d'un inconnu (2008)