Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Hélène Dumas
Critique parue dans Le Magazine des Livres, n° 15, avril/mai 2009
Les familiers de Fox ne seront pas désorientés, loin s’en faut : non seulement ils trouveront dans ce texte les ingrédients qui font la qualité habituelle de ses romans, mais davantage encore tous les motifs personnels et biographiques qui les aura nourris. On saisira mieux au passage ce qui différencie le roman de l’autofiction, tout ce qui distingue l’art suprême de mettre en scène l’existence afin de la mieux saisir et celui de chercher une ouverture à la littérature dans la dramaturgie du moi ; tout comme on aura plaisir à retrouver, sur quelques dizaines de pages, ce qui sous-tendait La légende d’une servante ou les décors de Côte Ouest.
Certes, la vie de Paula Fox, spécialement ici son enfance, a tout d’une matière romanesque. Délaissée très jeune par un père sensible mais par trop porté sur l’alcool d’Hollywood et par une mère paniquée à la seule idée de la maternité, élevée par un pasteur qu’elle nomme son « oncle » et recueillie par une grand-mère cubaine, sans le sou et trimbalée par monts et vallées à travers les États-Unis, moralement très isolée, l’épopée de Paula Fox a quelque chose de ces destins américains tels qu’on les rapporte parfois sous forme de saga. Pourtant, Fox a cette manière de se raconter en exhumant le regard qu’elle portait encore sur la vie quand, enfant, elle imaginait « que les gens étaient enfermés à l’intérieur de la terre comme les noyaux dans les fruits » et ne comprenait pas « que l’on puisse voir le ciel » : elle ne cherche pas tant à faire émerger un sens qu’à s’approcher au plus près des émotions d’antan et en saisir ce qu’elles pourraient avoir d’immuable. Sans doute d’ailleurs est-ce ce qui les rend si présentes et si vives, et explique en partie la centralité du père dans une existence dont il fut le grand absent. Centralité et tendresse, grande tendresse, oui, pour cet homme dont on devine, sous ses grands airs et les mots de sa fille, la fragilité, le malaise, la sensation persistante de l’inaccompli. C’est la force de ce texte assez unique en son genre que de livrer une matière aussi incroyablement vivante après tant d’années, conduisant finalement le lecteur à rôder autour d’une œuvre romanesque que cet éclairage ne rend pas moins mystérieuse.