Son Donjon est à Niort ce que la Tour Eiffel est à Paris. En plus, il n’y a pas deux monuments touristiques d’envergure à Niort, c’est le seul, et bien visible encore. Or, le Donjon reste fermé les trois quarts du temps et les élus de la Communauté d’Agglo de Niort (CAN), ses tauliers légaux,persistent à boucler la lourde du haut lieu pour de basses raisons pécuniaires. L’édifiante visite que j’ai eu le privilège d’en faire ce lundi soir, sous les auspices de la Société Historique et scientifique des Deux-Sèvres , aurait pourtantpu ouvrir les yeux des décideurs sur l’absurdité de ladite fermeture s’ils y étaient venus…
J’y suis à vrai dire allé au culot, après avoir voulu m’inscrire vainement par téléphone, suite à une discrète annonce dans la presse locale, louée soit-elle. Le répondeur de la Shsds annonçait qu’il était trop tard et près d’une centaine de demandes de visite seraient ainsi restées en souffrance sur la messagerie de la vieille dame. En arrivant, j’ai bonni benoîtement au conférencier un « Ah bon, il fallait s’inscrire avant ? » si convainquant que le zigue m’admit dans le groupe (limité à 25 personnes) ainsi que ma jeune protégée. Je vous refile le tuyau pour la prochaine fois : oubliez le téléphone et pointez-vous direct !
Ce fut alors une passionnante visite, pilotée par un conservateur des musées de Niort, interprète aussi érudit que talentueux d’un Donjon parsemé de signes comme une partition l’est de notes. Le zigue s’appelle Daniel Courant et il lit couramment sur les murs. Sous son regard, la pierre se fait chair ou presque. Vingt-sept ans d’un travail de ouf ou de bénédictin : plus de 30000 blocs examinés à la loupe, plus de 4000 marques de tailleurs dénombrées dont 320 différentes ! Il a éveillé nos regards sur les compagnons tailleurs de pierre du 12e siècle, sur le travail des différents outils, têtu-taillant ou brettes, les différentes finitions bien inscrites dans les gros blocs savamment assemblés. Nous sommes descendus au niveau carolingien et dans les débris fouillés par les archéologues, nous apprîmes qu’y furent retrouvés les restes d’un esturgeon…
Nous sommes montés pour embarquer dans le « Surprise », le cotre anglais arraisonné par les corsaires du Roi en 1778, et dont des marins furent emprisonnés dans notre Donjon. Salut Joseph Wilson et Guy Sharp, vos graffitis nous parlent !Niort aussi était un port alors et l’on débarquait rue Brisson, les navires glissaient entre le Donjon et le Fort Foucault… Notre groupe était embarqué à livre ouvert dans les pages de hautes murailles dont nous épelions progressivement les signes, sous la docte houlette du dictionnaire Courant.
Quand j’étais môme, j’avais pourtant visité le Donjon bien avant l’arrivée de Daniel Courant mais je n’y avais rien lu de tel. A l’époque, le Donjon était ouvert le week-end et servait de promenade éducative aux familles. Il n’y avaitrien à voir, sinon des reconstitutions d’intérieurs paysans poitevins, des frusques folkloriques et mitées, des outils rustiques et des vitrines abritant des fossiles poussiéreux ou des monnaies ternies. Les murs étaient salement badigeonnés et les fossés n’étaient pas déblayés. Il n’y avait rien à voir et la visite était prodigieusement ennuyeuse. Le Donjon était alors coquille de pierre devant à tout prix recevoir quelque chose pour justifier son existence. Aujourd’hui, il est vide et en même temps se donne à voir pleinement, vaisseau de pierre pour un fantastique voyage dans le temps. Mais sa porte ne s’entrouvre qu’à de trop rares occasions…
Il paraît que les conseillers communautaires de la CAN se réunissent au Donjon ce mardi 12 mai pour décider du sort de l’édifice. J’ai vu les chaises destinées à accueillir leurs augustes postérieurs. Ils ont une occasion historique de ne pas rester d’indécrottables blaireaux aux yeux de la postérité : il leur faudra en effet trouver le moyen d’ouvrir le Donjon de Niort. Au-delà de l’argument touristique indéniable, c’est un patrimoine à lui tout seul qu’il faut rendre accessible aux niortais, simple question de bon sens !