Claire Malroux publie traces, sillons chez José Corti. Deux extraits de ce livre-journal qui mêle des réflexions sur le temps, l’écriture, la poésie et des poèmes. (Claire Malroux publie dans le même temps une nouvelle traduction, celle des Sonnets Portugais d'Elizabeth Barrett Browning, chez Le Bruit du Temps)
Main petite, bouton, oisillon crispé
elle gonfle ses plumes
éclot dans une main large et grande, une main d’adulte
boule de chair que façonne la main entièrement formée
doigts déliés, phalanges nettes, articulation souple
paume élastique
De cette main enveloppante
une tiédeur irradie la main petite
elle s’ouvre en une large et grande main
une main d’adulte mère d’autres petites mains
un archipel d’îlots de chair qui éclosent
oisillons dans sa paume
Avant qu’elle ne rétrécisse, se déplume, se ride
île de chair desséchée
que les os ne peuvent plus plier
pour envelopper des mains plus petites qu’elle
main de nain, doigt noués noueux
sans prise sur la branche
28 septembre
De trace ? Le geste d’une silhouette sans visage en haut d’un escalier, à l’instant de pénétrer dans l’oubli. Elle se retourne sur son passé, doublement tel pour qui cherche à la retenir. Son avenir aussi est passé, atomisé par la mémoire broyeuse de la personne qui se souvient. Gestes, paroles sont mués en fantômes, énigme trébuchante, oracle, illimité écho dans un espace sans parois. Ils n’iront pas plus loin. Tôt ou tard la courroie se rompt.
La courroie se rompra. Relier est vain. Tout se disperse après un temps aux quatre vents. Mais peut-être la chaînette en or, cadeau de mes grands parents, perdu dans un caniveau lorsque j’étais enfant, repose-t-elle intacte dans la mémoire de la mer ?
Claire Malroux, traces, sillons, José Corti 2009, p. 15 et 16.