Le modèle allemand
Les autorités françaises craignent que la crise ne favorise l'Allemagne. Certains économistes, repris par le Le Monde la semaine passée, laissent en effet entendre que notre voisin serait mieux à même de rebondir fin 2010. A l'heure de l'Europe à 27, faut-il vraiment de se préoccuper de cette opposition journalistique ? L'Allemagne attend une récession de 6% de son PIB en 2009, une quasi-stagnation en 2010, et un rebond de +1,9% en 2011. Pour 2009, les exportations devraient chuter de 18,8%.
Dans un entretien au journal Le Monde, Christine Lagarde s'inscrit en faux. On la sait très optimiste par nature. "Je sais que c'est une thèse très à la mode en France mais je la conteste formellement." Et d'ajouter : "La France est aidée par sa démographie. Les banques ont mieux résisté et notre économie est moins dépendante du secteur financier que certains de nos voisins. La France est moins touchée que l'Allemagne par le risque déflationiste."
Attardons nous sur cet argumentaire : primo, l'Allemagne n'est pas plus dépendante que la France de son secteur financier. Lagarde réalimente une vieille polémique, lancée par Sarkozy le 6 février dernier, contre le Royaume Uni. On sait depuis que le secteur bancaire et financier pèse plus fortement dans le PIB en France qu'en Grande Bretagne et en Allemagne. Quant au risque déflationiste, il est vrai que l'Allemagne est moins protégée que son voisin français. Mais ce risque ne s'est pas matérialisé, grâce à l'intervention de la BCE.
Bref, la ministre n'a pas un seul argument (à l'exception de notre forte natalité, qui propulse depuis des décennies nos jeunes au chômage rapide) pour étayer sa thèse. Quand à la solidité de notre système bancaire, le gouvernement "découvre" aujourd'hui que les assureurs-crédits asphyxient, par "prudence", leurs entreprises clientes. Le médiateur du crédit, René Ricol, s'en alarme.
Sur la Potsdamer Platz de Berlin, Nicolas Sarkozy n'a pas tari d'éloges sur l'Allemagne: "la France ne vous craint pas, la France veut vous ressembler dans l'excellence de votre technologie, de votre industrie, dans la compétence de vos travailleurs, dans l'idée que vous vous faites de la force de l'euro, de l'équilibre de vos finances publiques." Tout est presque dit dans cette simple phrase : en France, Nicolas Sarkozy a bâti son ambiguïté européenne personnelle en fustigeant l'euro-fort et la banque centrale européenne, et les finances publiques sont dans un état désastreux.
Le cauchemar français
La France aborde en effet la récession économique plombée par plus de 7 ans de réductions d'impôts et défiscalisations diverses, accélérées depuis mai 2007 par Nicolas Sarkozy, des inégalités sociales en hausse depuis 2003, et un commerce extérieur chroniquement déficitaire. Le gouvernement a refusé de revoir, ou a minima suspendre, son paquet fiscal: la défiscalisation des heures supplémentaires grèvent les comptes publics et sociaux d'environ 4 à 5 milliards d'euros, tout en créant un effet d'aubaine nuisible à l'embauche de nouveaux salariés. Le bouclier fiscal, créé sous Chirac, magnifié sous Sarkozy, coûte environ 450 millions d'euros par an sans aucun effet sur l'évasion fiscale. La défiscalisation des intérêts d'emprunts immobiliers est totalement tombée à plat : la pénurie de logements est telle que le paquet fiscal a involontairement prolongé une bulle immobilière de quelques mois.
Au total, la France aborde 2009 avec un nouveau déficit budgétaire, cette fois-record, de 104 milliards d'euros. De surcroît, la consommation est marginalement relancée.
Le quiproquo européen
Sur les élections européennes à proprement parlé, il paraît clair que les enjeux seront éminemment brouillés, et notamment à cause de la crise et de la présidence française. Le camp souverainiste aura quelques difficultés à crier au loup, à fustiger les "technocrates" de Bruxelles, l'irresponsabilité supposée d'un pouvoir supranational. Face à la crise, les Etats ont joué solitaires. Et la France n'a pas donné le meilleur exemple Si Nicolas Sarkozy a été très tardif à réagir au krach boursier et à la faillite de Lehman Brothers, son discours de Toulon mentionnait une mesure concrète, et solitaire : la garantie par l'Etat de tous les dépôts bancaires. Chacun y est allé de son plan personnel. Quand José-Manuel Barroso, aux côtés de Nicolas Sarkozy, annonçait le fameux "plan de relance européen" deux mois plus tard, il ne faisait qu'additionner une somme de mesures nationales disparates. Seuls 15 milliards d'euros, sur les quelques 200 milliards annoncés, provenaient de fonds communautaires.
Nous l'écrivions en décembre dernier, à quelques heures de la fin de la présidence française de l'UE: les Etats ont pris le dessus, et l'Europe s'est effacée. Même sur des sujets d'intérêt commun, comme la durée du temps de travail, le plan Energie Climat, ou la traçabilité de la filière bois, les chefs d'Etat ont brisé les élans généreux du Parlement.
Sur quelles bases faut-il donc débattre de l'Europe ?
Pour finir, regardez donc ce clip des jeunes de la CDU annonçant le meeting de dimanche. Baguette et saucisse, il enfonce les clichés !
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