La Cité de l'architecture & du patrimoine du Palais de Chaillot

Publié le 17 septembre 2007 par David Orbach
Après des mois de rénovation, la Cité de l'Architecture et du Patrimoine ouvre ses portes à Paris dans le Palais de Chaillot entièrement rénové.

Enfin un nouvel espace significatif et grand dédié entièrement à l'architecture! Il y a des exposition temporaires, et surtout deux départements présentant l'un de l'architecture ancienne, l'autre de l'architecture contemporaine (nous omettons provisoirement la galerie des peintures murales qui doit faire l'objet d'un article en elle-même).
Je suis allé voir le Palais en très bonne compagnie puisque j'y étais avec mon associée Isabelle, qui a fait l'école du Louvre, et Jean-François (son conjoint hélas pour moi :-( ), diplômé de l'École de Chaillot et dont les études ont eu lieu ici même. Trois architectes, la discussion a été extrêmement vive, compte-rendu.
La "galerie des moulages" est véritablement impressionnante. Ce sont des pans entiers d'édifice du Moyen-âge au XVIIIème siècle qui ont été moulées sur les originaux et sont restituées en vrai grandeur dans les immenses salles du Palais de Chaillot. Il faut savoir qu'elles ne sont plus depuis longtemps des copies. Elles sont réalisées avec tant de finesse que les restaurateurs des monuments historiques les utilisent pour reconstituer sur site les éléments d'architecture originaux, les poitrails, les colonnes, les statues, qui s'abîment et dépérissent dehors. Ces moulages sont donc de véritables "fossiles vivants" d'architecture. En un sens, elles sont plus "authentiques" que "l'original" sur place aujourd'hui dégradé par les intempéries puisque les moulages sont devenues plus proches de l'oeuvre neuve sculpté par l'artisan il y a plusieurs siècles. Elles ont le grain de la pierre et sont comme neuves. Ce que vous voyez à Chaillot, vous ne le verrez donc pas ailleurs. Toutes les pièces sont belles, toutes les pièces sont importantes. On y voit d'énormes gargouilles comme on ne les voit jamais si bien, à quelques mètres. Les chapiteaux de Moissac à pouvoir toucher. Des chefs-d'oeuvres de charpentes de flèches de cathédrale, de châteaux, d'abbayes, toutes en bois avec des assemblages microscopiques. Les célèbres toitures à la Philibert de l'Orme assemblées par clavettes. L'immense abbaye de Cluny, aussi grande que Saint-Pierre de Rome, est entièrement reconstituée là sous nos yeux. Tout ceci est d'une beauté extraordinaire. A un endroit on peut même passer derrière un moulage de plusieurs étages et voir le magnifique travail de charpente tenant l'installation.
Comme il est triste que devant tant de beautés, les panneaux des explications des oeuvres soient si pauvres! Comme vous le savez, nous sommes en guerre contre cette méthode des musées d'aujourd'hui de restreindre les explications des oeuvres à des dates, des noms et de la technique. Il y a quand même des choses plus intéressantes à dire au public que le numéro d'inventaire de l'objet! Enfin quoi, cette cité n'est pas réservée aux initiés! Tout le monde doit y trouver son plaisir et il est à nos yeux du devoir des experts de venir raconter au public ce qu'il voit. Car enfin, s'ils ne le font pas, qui le fera? Pourquoi ne pas raconter l'oeuvre? Un texte même long, ne peut pas gêner. Si certains ne s'y intéressent pas, ils ne le liront pas. Les commentaires s'adresseront aux autres. Ils sont fort nombreux. Il faut voir la foule se presser pour lire, avide de comprendre ces magnifiques morceaux du passé, et repartir aussi vite, déçue par ce qu'elle a lue, hagarde dans ces grandes pièces qui se transforment en de tristes salles des pas perdus. Il y a une vraie demande du public: une femme nous interpelle dans la foule: "Mais pourquoi parlez-vous du puit de moïse? Il n'y a pas de puit dans l'histoire de Moïse." Oups! Pardon Madame.
On aurait pu préciser par exemple, que si ici le Christ est représenté en majesté jugeant les vivants et les morts sur ce tympan, c'est parce que nous sommes devant la façade ouest, avec derrière nous le soleil qui se couche, donc la façade de la mort. Et si l'on rendait autrefois les jugements devant ce porche, c'était pour qu'à la présence du juge se surajoute au-dessus de lui l'image du Dieu redoutable du dernier jour le bras levé et le regard droit. Qu'entrer dans une église, c'est aller de l'ouest vers l'est où le soleil se lève, et c'est comme remonter vers sa naissance. Que les quatre animaux entourant le Christ sont bien sûr les apôtres, mais aussi les quatre moments de la vie du Seigneur. L'homme sa naissance de chair, le boeuf sa mort, l'aigle sa montée au ciel, et le lion sa résurrection puisque comme chacun sait les lionceaux naissent mort-nés et c'est le souffle du lion qui les amène à la vie.
Et regardez cette abeille, qui est la Vierge, chaste et féconde comme elle. Et encore ce cierge rien moins que le corps du Christ Lui-même, blanc, lumineux, s'allumant et s'éteignant comme notre foi vacillante dans le vent du doute. Et ces deux hommes buvant aux seins de l'Église représentée en reine, le lait des deux testaments. Ici Aristote lui-même à quatre pattes portant la belle indienne sur son dos! Et la nature! Du sol jusqu'aux flèches des églises, elle coure partout sur les façades, se mêle aux personnages les plus graves et montre mieux la campagne française qu'un mur végétal de Patrick Blanc. Il y a tant de si belles choses à raconter sur ces oeuvres et que l'on ne connaît plus. Beaucoup de ces sculptures sont inspirées bien sûr des Testaments, mais aussi d'autres livres, comme par exemple "la légende dorée", "L'histoire du voyage de Charlemagne en Orient", ouvrages jugés tellement importants et édifiants par le Moyen-âge qu'il n'hésitait pas à mélanger aux textes canoniques ces belles légendes. Vraiment en n'expliquant pas toutes ces images de notre patrimoine français, c'est comme si nous regardions un texte en latin. Nous perdons tout et c'est grave, car notre siècle n'y met rien à la place. Certes, on sent bien que les restaurateurs de cette galerie ont voulut préserver avant tout le charme de la scénographie du XIXème siècle du Palais. Mais quand même un peu de lumières différentes, des pénombres, des lumières colorées comme des vitraux dans certaines salles auraient été le bienvenu pour nous faire ressentir encore mieux l'odeur, la fraîcheur, le mystère des églises de la foi chrétienne. Pas une seule vidéo, pas un écran, pas d'internet. De l'architecture à l'état brut, nous sommes à Chaillot.
L'architecture contemporaine! A coté de ces salles d'architecture ancienne, la visite de l'exposition permanente d'architecture moderne et contemporaine donne un peu l'impression de se promener à la Défense après avoir visité un quartier ancien de Paris. Un peu de blues, l'impression qu'il manque quelque chose d'important. Il y a trop de nos confrères dans cette galerie pour que nous puissions en parler librement. C'est d'ailleurs un grand reproche de notre part: Il aurait fallu dans l'exposition permanente s'en tenir aux architectes morts et réserver les vivants aux manifestations temporaires. cela aurait laisser aux historiens le temps et la tranquillité pour distinguer les oeuvres vraiment historiques du reste (traduction : entre ce qui vaut vraiment le coup et ce qui n'est que politique). Comme on n'a pas fait cela, quelques erreurs adultèrent cette belle exposition, sèment le doute dans le public et encombrent cet espace déjà pas si grand. Nous n'en dirons pas plus.
Bon d'accord quelques mots quand même, mais parce que c'est vous.
L'élément le plus notable de la scénographie des espaces contemporains est ça et là la couleur rose, en remplacement du rouge de l'époque du Palais de Chaillot. Le rose et le vert pomme sont en architecture les deux couleurs de saison. Ne nous demandez pas pourquoi: c'est la mode. Partout des maquettes, des films, des livres et revues du XXème siècle et du nôtre, montrent très bien les édifices les plus reconnus, sinon les plus significatifs, de notre temps (Tiens? Il n'y a pas le Musée du Quai Branly). Le XXème siècle est le siècle de l'architecture: nous nous sommes régalés. Voici quelques exemples d'édifices, pas forcément les plus spectaculaires, mais ceux dont nous avons envie de parler. Il y a bien entendu Le Corbusier. On peut arpenter sur place et en vraie grandeur un appartement et sa rue intérieure de la Cité radieuse à Marseille. Le travail de reconstitution est très soigné. Comme c'est supposé être un morceau de l'immeuble, ils se sont appliqués à montrer la structure en béton dans les parties coupées (très innovante à l'époque) comme si l'appartement avait été réellement tronçonné puis apporté à Paris. Beaucoup d'émotion donc pour nous qui aimons tant Le Corbusier.
Une maquette d'une maison de Prouvé "démontable en fer pour colonies", une autre encore splendide "maison du désert". Et aussi l'énorme Crystal Palace, tout en verre comme son nom l'indique, en construction avec de petits personnages construisant les pièces. (Ce bâtiment ne devrait pas être là puisqu'il n'est pas français. Pas grave: il est tellement beau.)
Ce fut un grand moment de joie de voir une maquette d'une piscine-tournesol que nous adorons. Nous lançons un cri d'alarme: Ces petits joyaux d'architecture, évoquant le loisir rien que par sa forme charmante, bourrés d'idées, s'ouvrant au soleil comme son nom le précise, se refermant dès qu'il fait froid, et bien ces piscines sont vouées une par une à la démolition ! Elles ne sont pas aux normes. La belle affaire, la Tour Eiffel est-elle aux normes I.G.H.?
Une vidéo culte est celle de l'architecte Jean Balladur, cousin de l'homme politique, expliquant et promouvant la construction de la Grande-Motte sur la mer méditerranée. Nous y retrouvons tout une époque: Les voitures Simca, les nouvelles routes dont la France était si fière, des yachts avec leur propriétaire au téléphone, l'interview de l'architecte devant de petites maisons du pays et non sa réalisation, les dessins faits au tableau, l'argumentaire qui plaisait à ce moment: Pour comprendre l'ambiance d'après-guerre, ce film vaut toute l'expo.
Comme il est dommage de ne pas avoir présenté la maquette originale du concours de Beaubourg ! Elle était forte. Que les détracteurs du Centre Georges-Pompidou sachent qu'à l'origine le jury avait choisit un projet plus terrible encore que celui finalement construit. Et oui, on était en 68! (3 ans plus tard précisément) Les années soixante, soixante-dix avaient peut-être leur défauts mais l'histoire jugera ce que nos années 2000 auront construits de grand en échange. Nous verrons.
Alors vraiment cette cité est un grand moment d'architecture française. Et si l'architecture contemporaine ne vous parle pas, amusez-vous alors à comparer les explications des architectes en face des édifices présentés: Il y a parfois ... des différences.
Palais de Chaillot-Paris-citechaillot.fr