Un cargo nommé désir

Publié le 10 mai 2009 par Toulouseweb
L’A400M devrait probablement survivre ŕ tous ses maux.
C’est la saga militaro-industrielle de la décennie. Le gros avion de transport militaire Airbus A400M lutte pour sa survie, confronté ŕ des circonstances pour le moins défavorables, résultat d’une extraordinaire accumulation d’erreurs. Le programme est trčs en retard, coűte plus cher que prévu, inquičte les sept pays qui ont commandé 180 avions pour remplacer leurs C160 Transall (1) et Lockheed Martin
C-130H vieillissants. Les torts sont partagés, le résultat est catastrophique, au point de mettre en cause le bien-fondé de l’opération.
D’intenses échanges de vues, certainement plus nerveux que les industriels ne veulent bien le dire, ont conduit ŕ un moratoire. Le travail se poursuit sur deux premiers exemplaires, le début des essais en vol est espéré pour la fin de l’année mais la mise en route de la production est actuellement gelée. Dans le męme temps, chacune des parties concernées a accepté de mettre cartes sur table pour tenter de réunir les conditions d’un nouveau départ. Une tâche complexe et délicate.
L’origine de la dérive de l’A400M est désormais clairement identifiée et ne constitue plus un sujet tabou : le contrat signé en 2003 était tout simplement irréaliste. Il portait sur un forfait de 20 milliards d’euros pour livrer 180 avions aux pays participants ŕ partir de 2009. Cela sur des bases pseudo commerciales, l’OCCAR (l’agence européenne de l’armement) achetant ces A400M selon la procédure qu’utilisent les compagnies aériennes quand elles signent des commandes chez Airbus ou Boeing. Le constructeur affiche ses prix, il y a négociation, un échéancier est mis au point, l’essentiel du prix est payé lors de la livraison. Du commerce classique, en quelque sorte.
En un premier temps, Airbus n’avait visiblement pas saisi toutes les subtilités propres aux marchés militaires mais, tout au contraire, avait témoigné d’un optimisme qui, aujourd’hui, laisse pantois. Côté propulsion, ce fut pire, l’avionneur, tout maître d’œuvre qu’il était, étant contraint de renoncer ŕ son choix, un moteur de Pratt & Whitney Canada, les politiques estimant que seule une solution européenne serait acceptable. D’oů la mise en place du consortium Europrop International (Snecma, Rolls-Royce, MTU) pour développer le TP400 d’une puissance de 11.000 ch, œuvre de sociétés n’ayant pas précisément de grandes affinités.
Irréaliste, le calendrier l’était aussi parce qu’il supposait de livrer les premiers A400M moins de 6 ans aprčs la signature du contrat. On se demande aujourd’hui comment Airbus et Europrop ont pu accepter de telles exigences. D’autant que l’A400M est un appareil complexe, sophistiqué, synthčse d’exigences opérationnelles sévčres alignées par plusieurs états-majors. Qui plus est, le programme a été confié ŕ Airbus Military, visiblement soucieuse de préserver une certaine forme d’indépendance, un comportement encouragé par les Espagnols, heureux et fiers d’accueillir ŕ Madrid et Séville la gestion du programme et la chaîne d’assemblage final. Une opération lourde ŕ laquelle ils n’étaient sans doute pas suffisamment préparés. Depuis lors, de filiale, Airbus Military est devenu Ťsimpleť division d’Airbus, initiative qui traduit une ferme reprise en main du dossier qui avait trop tardé.
Domingo Urena, patron d’Airbus Military depuis quelques semaines, ne se fait pas prier pour évoquer les immenses défis industriels et technologiques qu’il aurait fallu relever en brűlant les étapes. Pour qui douterait de sa bonne foi, il rappelle comme un leitmotiv que les premičres livraisons du Lockheed Martin C-130J se sont faites 16 ans aprčs le lancement du programme, le Boeing C-17 a fait ŕ peine mieux (14 ans), et ainsi de suite.
Le glissement s’est aggravé, les difficultés techniques ont pris de l’ampleur, le devis de masse a posé problčme, l’électronique du moteur n’a pas été mise au point dans les délais requis, les coűts se sont envolés, les pays clients ont été envahis par le doute et les pires rumeurs ont commencé ŕ circuler.
Le premier A400M, présenté avec discours et flonflons ŕ la mi-2008, est resté désespérément au sol, faute de moteurs Ťbons de volť, l’assemblage de l’avion n° 2 n’est pas terminé, le n°3 ŕ peine ébauché et, dans les grands halls de Séville, le temps a suspendu son vol.
Le risque d’annulation, d’abandon, est-il réel ? Non, quoi que prétendent certains observateurs tout particuličrement pessimistes. L’Europe a grand besoin de l’A400M et son industrie, pour autant qu’on lui en donne le temps et les moyens, est certainement en mesure de sortir cet avion de l’orničre. D’oů l’espoir d’un nouveau départ sur des bases saines et, dans la foulée de deux premiers contrats ŕ l’exportation (Afrique du Sud et Malaisie), la quęte d’acheteurs supplémentaires. Le potentiel est considérable.
D’un point de vue strictement technique, le premier vol devrait avoir lieu ŕ la fin de l’année, les livraisons commençant trois ans plus tard. Pour autant que toutes les parties renouvellent leur confiance dans l’avenir de ce cargo nommé désir.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) L’origine du Transall (Transporter Allianz) remonte ŕ 1959 et ŕ des industriels désormais bien cachés dans l’arbre généalogique de l’industrie aéronautique européenne. Il a en effet été développé par Nord-Aviation, Hamburger Fluzeugbau et Vereinigte Flugtechnische Werke dans le cadre d’un consortium franco-allemand baptisé Arbeitgemeinschaft Transall, dont le sičge se trouvait ŕ Munich.