Le Parlement européen légifère actuellement à propos des sanctions du téléchargement illégal. Le 28 avril, un texte de compromis est adopté en commission, dans lequel l'expression autorité judiciaire utilisée dans l'amendement 138 était remplacée par un tribunal indépendant et impartial. Les Verts ont aussitôt redéposé cet amendement dans sa forme initiale. On apprenait lundi 4 mai que l'ordre de vote des deux textes avait été inversé et qu'ils étaient exclusifs. Il s'ensuivait que, si le texte de compromis, désormais prévu pour être présenté le premier, était adopté, l'affaire serait close et on ne se prononcerait pas sur l'amendement 138. Cohn-Bendit dénonce « une magouille de Trautmann », rapporteur du projet, et obtient de la présidente de séance, Diana Wallis, de rétablir l'ordre initial des votes. L'amendement est alors adopté avec 407 voix pour, 57 contre et 171 abstentions.
Ce qui est savoureux, ce sont les arguments avancés par Mme Catherine Trautmann en faveur du texte de compromis. Quand on reproche à ce texte d'avoir une formulation trop floue ou ambigüe, elle admet qu'il est moins limpide : « si c'était clair comme de l'eau de roche, on n'aurait pas pu faire passer le compromis ». Si je comprends bien, quand un texte de loi n'est pas clair et net, ce n'est pas accidentel, c'est délibéré. Plutôt que de permettre de fonder le droit, il doit ainsi être suffisamment confus pour que chacun de ceux devant se prononcer à son sujet y voie ce qu'il espère et vote en sa faveur. Tant pis si ensuite ces différences d'interprétation compliquent son application et génèrent des débats passionnés.
Elle explique ensuite que le compromis est plus protecteur que le texte initial car il reviendra au gouvernement français de démontrer que sa Haute autorité est ce tribunal indépendant et impartial. Cela me semble en effet très ardu : qu'est-ce qu'être indépendant ? Ne dépend-t-on pas toujours de quelqu'un ? Et qu'est-ce qu'être impartial ? Serait-ce de ne pouvoir être suspecté de complaisance avec quelque partie ? Je crains précisément que, devant la quasi-impossibilité de la tâche, on ne se contente d'affirmations douteuses et d'approximations fallacieuses. Par contre, même si cela ne semble pas toujours établi dans notre pays, et encore plus gravement depuis deux ans, la séparation des pouvoirs, principe reconnu depuis des siècles, autorise à accorder plus de confiance à la justice.
Lorsque l'on demande à Mme Trautmann pourquoi ne pas avoir conservé le terme d'autorité judiciaire, elle répond : « Cela aurait obligé à avoir un débat sur l'ordre juridique interne dans chaque pays. Les Etats membres l'ont donc refusé ». Voilà une affirmation stupéfiante. Veut-elle dire par là qu'il est plus facile de débattre du caractère indépendant et impartial du tribunal mis en place dans un pays donné pour sanctionner le piratage, que de l'ordre juridique interne de ce même pays ? Elle rejoindrait ainsi l'appréciation que je formulais dans le paragraphe précédent à propos de l'aisance avec laquelle on délivrerait un certificat d'impartialité à telle ou telle autorité plus ou moins complaisante envers le pouvoir ou des puissances d'argent.
La seconde phrase est tout aussi surprenante. Je comprends fort bien que, si notre gouvernement accepterait que les instances européennes valident les qualités d'Hadopi, il s'opposerait à ce qu'elles agissent de même vis-à-vis de notre justice. Mais je qualifierai en outre cette même phrase, sur la base des informations que j'ai recueillies sur l'Internet, inexacte. Pour autant que je sache, les Etats ne se sont pas encore prononcés sur ce point. C'est la commission qui avait adopté le texte de compromis et le Parlement, lui, a largement voté pour le recours à l'autorité judiciaire. Les Etats membres, même si un certain que nous connaissons de près s'est permis d'exercer de fortes pressions, n'ont donc encore rien refusé.