S'il est un sujet qui ne soulève ni passions ni débats, c'est bien celui de l'aménagement du territoire et des villes dans lesquelles nous vivons, travaillons, et tissons des relations sociales. Certes, dans les villages et petites cités, les discussions autour de la révision d'un PLU peuvent parfois susciter quelques épisodes tendus, et pour cause: selon son zonage, la valeur d'un terrain peut varier d'un facteur supérieur à 100.
Mais pour le reste, point de réactions, par exemple, lorsque le maire d'une grande ville en mal de rentrées fiscales décide de rendre payantes, à des conditions draconiennes, toutes les places de stationnement d'un quartier pourtant dénué de commerces et abritant les postes de travail de milliers de personnes résidant dans tous les coins du département et parfois au delà. Bien que ce faisant, le maire en question condamne des centaines d'usagers de la voirie à s'entasser dans des transports en commun inadaptés à bien des situations individuelles, augmentant leur temps de parcours, et réduisant de fait le temps qu'ils peuvent consacrer à leur famille, amis et loisirs, personne ne s'émeut.
Des populations anesthésiées
Dans nos villes, chaque jour, sont ainsi décidées des politiques dont le résultat final n'aboutit qu'à pourrir l'existence d'une part de plus en plus importante de la population. Et pourtant, nulle protestation.
Les gens se sont progressivement habitués à accepter que la planification de leur espace de vie soit décidée à leur place par des "élus" aidés par des "experts" qui savent mieux qu'eux mêmes ce qui est bon pour "l'intérêt général". Pourtant, parce que les experts et les élus sont sous l'influence de leurs préjugés idéologiques autant que de la science, et parce qu'ils tendent à transposer comme modèle de choix de vie ce qu'ils considèrent bon, sinon pour eux mêmes, du moins pour le "petit peuple", le moins que l'on puisse dire est que le bilan de l'aménagement planifié en France est absolument catastrophique.
Menaces imaginaires et bureaucraties triomphantes
A la fin des années 50, commencèrent à percer dans les milieux de l'urbanisme bureaucratique des idées venues en droite ligne d'Angleterre et des USA, selon lesquelles "l'expansion urbaine périphérique", promptement rebaptisée "étalement urbain" pour lui donner une connotation négative, constituait un danger grave pour l'avenir: cette expansion promettait de réduire comme peau de chagrin les espaces agricoles, menaçant notre sécurité alimentaire.
On sait aujourd'hui que ces raisonnements, tenus, comme d'habitude, par des gens anticipant les problèmes de demain avec les solutions d'aujourd'hui, sont condamnés à être démentis par les faits: les rendements agricoles ont explosé, provoquant une réduction des surfaces cultivées 7 fois plus rapides que l'expansion urbaine (phénomène commun à toute l'Europe occidentale), et la mondialisation des échanges a rendu caduque la notion de souveraineté alimentaire et ses déclinaisons langagières diverses. Malgré ces évidences, hélas trop peu connues hors des cercles académiques, la lutte contre l'étalement urbain est restée une priorité politique.
La planification urbaine, des dégâts prouvés, des bienfaits très hypothétiques
Ces planificateurs fous ont eu le temps de faire bien des dégats, malgré l'ineptie de leur propos: nous leur devons entre autres l'érection de quartiers HLM de type soviétoïde en série, parfois sous forme de villes entières, sans souci de l'existence d'équipements capables de donner une vraie vie urbaine à ces entassements de logements mal construits. L'on imagine mal des bâtisseurs urbains privés faire de telles erreurs plus de deux ou trois fois. Nos planificateurs professionnels nous ont bâti plus de 700 de ces quartiers qui aujourd'hui concentrent une quantité de problèmes économiques et sociaux telle qu'aucun pouvoir politique n'entrevoit d'autre solution que de tenter de contenir l'explosion de la marmite sociale par l'injection périodique de milliards qui ne changent fondamentalement rien aux problèmes rencontrés...
La planification spatiale connut son heure de gloire absolue lors du vote, en 1967, de la LOF, "loi d'orientation foncière", qui permit à l'état de doter nos grandes et moyennes communes de plans de zonage (les POS, devenus PLU depuis 2001). Les premiers plans ne furent pas trop pénalisants pour le développement économique du pays, car le discours anti-étalement urbain mit du temps à se propager des cercles de bureaucrates initiés à la classe politique. Mais des années de lobbying intensif, l'ajout constant de nouvelles couches réglementaires à la loi de 1967, y compris au niveau européen, et la montée en puissance de la capacité de blocage d'associations diverses et variées (et pas uniquement écologistes, notons le...) par le biais d'une justice de plus en plus instrumentalisée, ont fini par rendre la libération de foncier constructible problématique à partir de la fin des années 80, et plus encore dans les années 90 avec l'arrivée de lois européennes telles que Natura 2000 ou, en France, la loi Littoral.
Mes lecteurs réguliers ne savent que trop bien ce que cet étranglement croissant de la construction a provoqué: l'incapacité, pour le secteur du logement, à répondre à la demande dans les périodes de forte croissance de cette dernière, aboutissant à la formation d'une bulle immobilière dont nous allons payer longtemps les dégâts économiques et sociaux.
Vade retro, Automobiliste
Cette lutte contre l'étalement urbain, déjà stigmatisée ici, s'est doublée de son corolaire naturel, la lutte contre l'automobiliste, ce drogué du déplacement individuel, tout juste bon à polluer et à tuer ses concitoyens sur la route. Sans oublier que sa présence provoque des embouteillages obligeant nos élites (qui ne prennent JAMAIS les transports en commun qu'elles voudraient nous forcer à utiliser) à perdre de précieuses minutes entre deux rendez-vous importants.
D'où l'explosion des dépenses dans des infrastructures de transport en commun dont le coût par passager X Km transporté est sans commune mesure avec celui de l'automobile (toutes subventions confondues, le CPKm est deux à trois fois plus élevé dans les transports en commun, 16 à 20cts /passagerX km pour l'automobile, 45 pour les TC), alors que leur part de marché reste, partout dans le monde, parfaitement marginale, sauf au coeur de quelques cités qui connurent une forte expansion avant l'avènement de l'automobile, telles que Paris, New York, Londres ou Tokyo. D'où la diabolisation croissante de la route aboutissant à un sous dimensionnement chronique des infrastructures routières urbaines et périurbaines, au détriment de la mobilité, dont nos édiles ont oublié tout les bienfaits qu'elle nous avait apportée au cours des siècles.
War to the dream
Le rêve maintes et maintes fois exprimé d'une large majorité de nos concitoyens, que ce soit par sondage ou par actes d'achats réels, est de posséder une maison à soi, sur un terrain suffisant, sans luxe extravagant, mais sans restriction excessive, et avec une capacité de se déplacer suffisante pour envisager une vie professionnelle et des loisirs riches et variés. Alors que la satisfaction de ce rêve n'entraine aucun effet pervers réel qui ne soit gérable, quoiqu'en disent les proposants de la lutte contre l'étalement urbain, il se trouve qu'une galaxie croissante de bureaucrates, qui ont su convertir à force d'arguments fallacieux des politiciens très consentants, a décidé de nous interdire l'accès à ce rêve, au nom de ses préjugés.
Les politiques de planification urbaine et de détournement sous contrainte du trafic automobile vers les transports en commun constituent ni plus ni moins qu'une guerre d'une certaine élite bureaucratique contre les aspirations des français. Ceux qui mènent cette guerre le font au nom de leurs préférences personnelles (pour les autres. La grande maison secondaire avec grand jardin n'est pas bannie du patrimoine de ces gens, bien au contraire...) tout en refusant de prendre en considération les dégâts économiques, sociaux, et même environnementaux que leur prétention à modeler notre avenir engendre.
Pas seulement chez nous !
Cette guerre n'est pas seulement française. Dans le monde entier, les aménageurs planificateurs (homo planifiens ?), au nom de tous les prétextes imaginables, dont le réchauffement climatique n'est que le dernier avatar, prétendent imposer un développement urbain "compact" et une mobilité urbaine fondée sur les transports collectifs à leurs concitoyens. La stupidité de ces politiques atteint son paroxysme en Australie, où moins de 0,95% du territoire est urbanisé, où la quantité de surface agricole abandonnée chaque année du fait de l'amélioration des rendements agricoles est égale à l'accroissement urbain de ces trente dernières années, mais où le mouvement anti étalement urbain a réussi à imposer, depuis les années 80, des restrictions telles (ceintures vertes) à l'expansion urbaine périphérique, que l'Australie a connu une bulle immobilière de même intensité que celle vécue par les états les plus restrictifs d'Amérique du nord. Fort heureusement pour les australiens, mais aussi pour les néo-zélandais, une prise de conscience est en train de s'opérer pour revenir à plus de bon sens et plus de liberté offerte aux propriétaires du sol dans son affectation. La bataille contre les planificateurs n'est pas gagnée, mais au moins, des leaders ont pris la tête d'une salutaire rebellion.
En France, au contraire, le lobby de la planification a décidé, dans l'indifférence la plus totale du grand public qui ignore tout de ces questions, de fourbir de nouvelles armes contre la liberté de construire, de se déplacer, de faire ses propres choix de vie dans des domaines pourtant tellement essentiels. De "Directives Territoriales d'aménagement" en "Schémas de Cohérence Territoriaux", et sans doute demain sous l'égide d'intercommunalités forcées, comme le rapport Balladur le préfigure, toutes les pièces d'une machinerie infernale se mettent en place.
La planification est une guerre qui ne dit pas son nom, une guerre insidieuse, un conflit de basse intensité dont les victimes ne sont pas des morts ou des blessés --encore que...-- mais des SDF, des mal logés, des chômeurs, des gens sans espoir, sans opportunités...
Je reviendrai dans les semaines à venir sur les différents aspects de cette guerre, ses généraux, ses armes, ses légions, ses stratégies, et sur les maigres moyens dont nous disposons pour nous en défendre.
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