Suicide des jeunes
Dominic Desmarais DOSSIERS SUICIDE, SANTE MENTALE ET REFLET DE SOCIETE
Le nombre de suicides a légèrement diminué au Québec l’an dernier. Derrière cette bonne nouvelle se cache toutefois la réalité des 1 091 personnes qui sont passées à l’acte, de ceux qui ont tenté de s’enlever la vie et de ceux qui y pensent. Adolescents, adultes et personnes âgées, ce mal de l’âme n’a pas d’âge. Pour le contrer, les approches sont différentes. Reflet de Société s’est penché sur une façon de prévenir le suicide chez les jeunes.
Au Canada et au sein des pays industrialisés, le Québec fait figure d’enfant récalcitrant dans la lutte contre le suicide. Ce problème de société ne fait pas souvent l’objet de débats. On en parle peu. Trop peu, au goût de Claude Poirier, pas le célèbre chroniqueur judiciaire, mais le président et fondateur de Réseau Ado, un organisme qui s’implique dans la prévention du suicide en visitant des écoles secondaires de la province. «Il y a deux écoles de pensée, précise M. Poirier: ne pas en parler pour ne pas donner des idées à ceux qui seraient tentés de mettre fin à leurs jours, ou en parler pour que ceux qui vivent avec des idées suicidaires puissent s’exprimer. Je suis de la deuxième école, mais au niveau des professionnels et des institutions, le suicide est un sujet tabou.»
Claude Poirier travaille depuis 50 ans pour l’entreprise familiale de salons funéraires Magnus Poirier. Il rencontre constamment des gens touchés par le suicide. «Qui ne connaît quelqu’un ayant vécu une dépression ou fait une tentative de suicide?» demande-t-il avec sérieux. Depuis 1997, M. Poirier et le Mouvement Richelieu s’investissent dans la prévention du suicide chez les jeunes. Dans un élan passionné, il parle des tendances suicidaires chez les adolescents. «Pourquoi ont-ils ces idées? Pourquoi n’en parlent-ils pas? Des recherches menées par un psychologue et un psychiatre auprès de jeunes ont démontré qu’ils étaient plus à l’aise de s’en ouvrir à des gens de leur âge.»De là est né Réseau Ado. Des jeunes adultes, étudiants en travail social, en psychologie ou en animation culturelle, s’intègrent, le temps d’un cours, dans la vie d’élèves de troisième secondaire pour les faire parler du stress qu’ils vivent. Ils sont deux animateurs pour une quinzaine d’élèves. Pas de professeur, de psychologue ou de directeur. Que des jeunes qui discutent entre eux.
Santé mentale
L’approche des animateurs est axée sur la bonne santé mentale. Le but est d’encourager les élèves à discuter.
Sous forme de jeu, les animateurs de Réseau Ado créent avec les jeunes une définition de la santé mentale. «On demande aux élèves ce qui fait que, certains jours, notre santé mentale ne va pas bien. Le stress sort très souvent. On les aide à le verbaliser et à prendre des moyens pour le régler ou le diminuer. Le stress est abordé par rapport à la définition qu’ils en font, par des sujets qui viennent d’eux. On n’abordera pas le suicide nous-mêmes, il n’y pas de priorité sur cette question. Si l’un d’entre eux en parle trop ouvertement, il sera rencontré après, en post-groupe, pour qu’il ne monopolise pas toute l’attention», explique Patrick Chaput, le coordonateur de l’équipe.
Stress à cause de la famille
Les problèmes familiaux sont régulièrement mentionnés comme principale source de stress. Ce sont les différends entre les parents qui affectent le plus les jeunes. Pour Claude Poirier, les plus à risque sont les jeunes inscrits dans les programmes internationaux. «Ils se mettent de la pression pour leurs notes scolaires. Ils en reçoivent de leurs parents et de leurs professeurs, qui veulent les voir réussir. Certains, en raison de leur réussite scolaire, sont au-dessus de tout soupçon. On les laisse circuler librement dans l’école. Alors, les pushers passent par eux pour entrer la drogue en douce dans l’école. S’ensuit l’intimidation et la menace de dénonciation. Là, ils sont pris avec un gros problème qu’ils n’osent confier à personne.»
C’est là l’objectif de Réseau Ado: découvrir les jeunes aux prises avec des problèmes et les diriger vers les ressources d’aide offertes par la polyvalente. Les élèves se confient plus facilement aux animateurs, des jeunes à leur image. «C’est cool parce que je ne cadre pas dans un rôle de professionnel. Je peux parler aux jeunes comme un jeune. Pour nous, les animateurs, c’est libérateur. Et le jeune le sent, dit Rachel, 20 ans, qui aspire à devenir médecin. Moi, le secondaire 3, c’est pas loin. Je me souviens comment j’étais. Ça me replonge dans mes souvenirs. Même moi, en secondaire 3, je ne savais pas qu’il y avait des ressources pour m’aider. Je n’ai jamais pensé y aller.»
Repérer les jeunes à risque: prévenir le suicide
La rencontre permet aux animateurs de présenter l’intervenant de l’école et de faire le pont entre l’élève et les ressources pouvant l’aider. Les élèves brisent leurs préjugés envers les psychologues. Au grand plaisir de l’équipe de Réseau Ado, ce que les jeunes retiennent le plus de leur visite, c’est comment aider un ami qui aurait des problèmes. Les animateurs font ainsi des petits en multipliant le nombre de jeunes pouvant établir un pont entre élèves et ressources.
Si l’animation de Réseau Ado permet de parler de certains problèmes, c’est le questionnaire rempli pendant la rencontre qui cible les cas plus lourds. Une des questions s’articule ainsi: «t’es-tu déjà senti mal au point de vouloir mourir?» Si un jeune répond par l’affirmative, il est systématiquement rencontré après la discussion de groupe. Les animateurs demandent à l’étudiant à quel moment il a ressenti l’envie de mourir et s’il a des idées concrètes pour mettre son projet à exécution.
«Le jeune va être référé s’il démontre une certaine planification. S’il n’a pas un niveau de dangerosité élevé, on va seulement faire le suivi avec l’intervenant de l’école pour le mettre au courant. On ne cherche pas les solutions ou les raisons, mais plutôt cibler la problématique, pour ensuite référer l’élève. En deux à cinq minutes, le problème peut facilement être cerné. Ce n’est pas une intervention. On veut éviter de faire répéter le jeune deux fois», dit le coordonateur de l’organisme, qui précise que tous les animateurs ont reçu de Suicide Action Montréal une formation avancée, créée sur mesure pour leurs rencontres post-groupe afin de détecter les signes, le vocabulaire et le niveau de dangerosité des jeunes, afin de mieux prévenir le suicide.
Travail avec les psychologues
L’équipe de Réseau Ado n’offre pas de services pouvant remplacer ceux d’un psychologue. Les animateurs sont formés pour détecter les cas problématiques et les référer. Pour éviter d’être aux prises avec des problèmes qui dépassent les capacités de ses jeunes employés, l’organisme s’assure de créer un filet de sécurité pour chaque établissement visité. Le filet de sécurité, ce sont toutes les ressources qui s’appuient entre elles pour intervenir.
Le premier maillon, c’est l’intervenant de l’école. «S’il est absent, on ne rencontre pas de groupe, car il doit toujours y avoir quelqu’un – travailleur social, psychologue ou autre professionnel de la santé», explique Patrick Chaput. Ce filet permet de mieux mobiliser la communauté. «L’accord du directeur de l’école et du conseil d’établissement, quand c’est possible, est recherché. On veut que le programme soit accepté et compris de la même façon par tout le monde», poursuit-il. Le CLSC, et parfois même la police, sont intégrés à la démarche.
Le problème du suicide chez les jeunes demande une mobilisation générale de la communauté, un filet de sécurité élargi. Redonner le goût de vivre à ces adolescents pourrait peut-être servir à conscientiser les adultes de tous âges à leur bonne santé mentale.
Reflet de Société, Vol. 17, No 3, Avril/Mai 2009, p. 30-31
Le site de Réseau Ado
Ressources d’aides:
Pour le Québec, 1-866-APPELLE (277-3553). Site Internet. Les CLSC peuvent aussi vous aider.
La France: Infosuicide 01 45 39 40 00. SOS Suicide: 0 825 120 354 SOS Amitié: 0 820 066 056
La Belgique: Centre de prévention du suicide 0800 32 123.
La Suisse: Stop Suicide