Nicolas Sarkozy et “la fabrication du consentement”: trois ans encore, peut-être huit…

Publié le 10 mai 2009 par Petiterepublique

Même s’il se défend d’évoquer ouvertement l’éventualité d’un deuxième mandat présidentiel, chacun sait la réalité de son opinion quant à cette possibilité plus que probable. En effet, ce n’est qu’un secret de polichinelle puisque Nicolas Sarkozy ne s’est pas privé en mode « off » d’afficher ses intentions alors qu’il déclare au pays ne pas penser à cette perspective, attaché qu’il est à réaliser les projets pour lesquels il a été élu. Plus malin que le singe, notre homme politique sait œuvrer diablement en matière de manipulation de l’opinion publique et ses intentions faussement cachées le démontrent parfaitement. Ainsi, force est de constater qu’il s’attache déjà à cet objectif premier: son élection en 2012 pour un second mandat présidentiel.

D’aucuns savent aujourd’hui que Jacques Chirac ne pensait qu’à piéger Nicolas Sarkozy en lui proposant le ministère de l’intérieur en 2002, imaginant que les intentions belliqueuses de ce dernier en matière de délinquance allaient lui porter un préjudice qui ne pourrait qu’entraver sa marche vers la conquête de la magistrature suprême. Il n’en fut rien, bien au contraire, le président Chirac ayant certainement oublier l’emblématique affaire de « Human Bomb » où l’impétueux Maire de Neuilly s’était approprié le rôle du héros providentiel en s’immisçant dans le dénouement de ce fait divers fortement médiatisé. Première manipulation d’envergure de l’opinion publique.

Trois années après sa prise de fonction place Beauvau, le mouvement de révolte des banlieues de 2005 qui aurait pu constituer un tournant dans la gestion de ce portefeuille ministériel n’aura aucunement fragiliser l’habile manipulateur, alors même que sa responsabilité apparaissait évidente quant à l’ampleur prise par cet événement [1]. Tel un pompier pyromane, le ministre de l’intérieur avait alors eu des mots tout à fait déplacés à l’endroit de ces adolescents qui venaient de décéder dans des conditions horribles, affirmant promptement dans les médias qu’il s’agissait là de jeunes qui avaient de commis des faits de délinquance. La suite, chacun la connaît, et Nicolas Sarkozy de retourner en sa faveur un dérapage incontrôlé, puis l’opinion publique de ne retenir que la casquette du pompier et non celle du pyromane. L’image domine toujours la vérité et le diable ne l’ignore pas.

À la tête de ce ministère taillé sur mesure, Nicolas Sarkozy aura su manœuvrer à merveille sa barque politique, glissant avec l’aisance qu’on lui connaît sur les thématiques très porteuses de la délinquance et de l’insécurité, n’ayant de cesse de disqualifier les « quartiers de relégation », source sous entendue de tous les maux de la société française. C’est avec une habileté qu’il faut bien lui reconnaître qu’il a transformé ce ministère en véritable officine de propagande, communicant sans relâche, manipulant sans vergogne l’opinion publique, asphyxiant les médias de cette « omniprésence » qui précèdera sa désormais « omniprésidence ». Il ne pouvait rêver meilleur tremplin pour se positionner en candidat à la présidence de la république. C’est avec vigueur qu’il a saisi la perche tendue par son ennemi d’alors, lançant à toute allure sa propre machine à fabriquer du consentement. Cinq années durant, il aura travaillé au corps cet électeur badaud en s’invitant au chevet d’une France post 11 septembre, apeurée et terrorisée par un monde vécu comme en insécurité permanente, où l’occident était la proie désignée de dangereux terroristes fanatisés dont le pouvoir de nuisance a sans cesse été surévalué par une certaine sphère politico-médiatique. Alors que George W. Bush sera élu pour un second mandat, Nicolas Sarkozy s’empressera de surfer sans retenue sur cette providentielle déferlante imaginaire de l’insécurité totale (intérieure et extérieure) jusqu’à la conquête de ce Graal désiré depuis son plus jeune âge.

Maintenant à la tête de l’État français depuis deux années tout juste révolues, il faudrait être bien malvoyant pour ne pas distinguer cette manœuvre qui perdure. La crise sans précédent qui vient de frapper le modèle dominant fait désormais fonction de nouvelle insécurité globale et notre président de dénoncer sans vergogne les coupables du présent fiasco. Il faut bien faire oublier les frasques décomplexées commises dés le début de son mandat, d’autant qu’elles furent sponsorisées par certains délinquants de la finance aujourd’hui largement accusés, l’ingratitude bien masquée par une opinion faussement offusquée. Encore une fois, c’est avec une certaine perversion qu’il travaille encore à cette « fabrication du consentement » [2], même si les sondages lui sont en l’état largement défavorables. Aussi, c’est la raison pour laquelle Nicolas Sarkozy se garde bien de s’afficher en candidat possible à sa future succession. Comment ne pas percevoir la fragilité de cette société qui vient de frôler l’effondrement général du fait de ses propres perversions? Ainsi, c’est avec l’agilité du politicien aguerri, s’agitant sans compter à la surface du monde, qu’il endosse la panoplie du justicier habité par la farouche volonté de moraliser ce capitalisme dont les dérives insensées auront failli jeter à terre tout l’édifice. Mais illustrons notre propos en revenant sur le discours récemment prononcé à Nîmes dans le cadre des futures élections européennes [3]. C’est avec appétit qu’il s’est invité à la tête du banquet afin de ressasser toute sa rhétorique habituelle drapé dans cette fausse modestie qui le caractérise. En filigrane, il n’a de cesse de ramener la couverture à lui, de se mettre sans cesse en avant, et de construire un discours volontariste à l’extrême, tout cela au nom d’une Europe presque trop petite pour y loger toutes ses ambitions. Il faut lire attentivement son propos (le paragraphe sur la Turquie illustre à merveille son mode de fonctionnement) pour se rendre compte combien la mégalomanie se fait envahissante derrière une posture savamment orchestrée. Tout y figure en bonne place, du ton grandiloquent aux remèdes proposés, n’hésitant pas un « ce soir je veux parler à tous les français, ce soir je veux parler à la France du OUI, à la France du NON », démontrant en cela qu’il est encore et toujours en campagne pour sa propre personne, nourrissant cet ego insatiable.

Sans contestation possible, tous les discours prononcés participent de cette « fabrication permanente du consentement » au moyen d’une propagande subtilement distillées, appliquant consciemment ou non les préceptes contenus dans l’ouvrage fondamental rédigé en 1928 par Edward Bernays, ce véritable manuel de la manipulation de l’opinion publique en régime démocratique (l’œeuvre figurait en bonne place dans la bibliothèque de Gœbels) [4]. Si l’on suppose que Nicolas Sarkozy n’a pas lu cette œuvre, alors il en applique les propositions intuitivement, faisant siens sans le savoir les propos que l’on retrouve dans le chapitre consacré à la propagande et l’autorité politique: « La voix du peuple n’est que l’expression de l’esprit populaire, lui même forgé pour le peuple par les leaders en qui il a confiance et par ceux qui savent manipuler l’opinion publique, héritage de préjugés, de symboles et de clichés, à quoi s’ajoutent quelques formules instillées par les leaders ».

Certes, si le modèle vaut pour tout politicien dont la logique intrinsèque pousse à son propre maintien dans l’arène des décideurs, donc des puissants, il ne faut surtout pas négliger les nuances qui peuvent distinguer les uns des autres, plus ou moins corrompus (au sens large du terme), plus ou moins égocentriques, plus ou moins compétents et sincères, puis pour certains, plus ou moins dangereux. Mais, s’agissant ici principalement de bêtise, nous convoquons avec respect Robert Musil qui avait cette formule sans équivalent: « La bêtise dont il s’agit là n’est pas une maladie mentale; ce n’en est pas moins la plus dangereuse des maladies de l’esprit, parce que c’est la vie même qu’elle menace » [5]. Cela appliqué à notre sujet peut évidemment provoquer une inquiétude certaine, à moins de juger que c’est là lui attribuer une importance qu’il n’a pas…

Pour autant, et quoi qu’il advienne à l’issu de son mandat - même s’il n’est pas interdit de rêver à un renversement prématuré - tel un sempiternel bonimenteur il cherche sans relâche à emporter l’adhésion à son discours et plus encore à sa personne, obnubilé en fait par l’idée de se maintenir à la tête de la nation, œuvrant sans complexe à sa propre gloire tout le temps que le peuple y consentira.

[1] Le récit médiatique de la mort des deux adolescents de Clichy-sous-Bois par l’AFP, décrypté par Acrimed.

[2] Noam Chomsky & Edward Herman, La fabrication du consentement. Agone, nouvelle édition 2008

[3] Discours de Nîmes prononcé le 05/05/2009.

[4] Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie? Zones/éditions La découverte, 2007. Lire le livre en ligne.

[5] Robert Musil, De la bêtise. Collection Allia.