Le Point a publié sur son site l'interview du procureur d'Abbeville Eric Fouard au sujet de l'affaire suivante : le 29 mars, à 22 heures 44, M. X envoie à M. Y le SMS suivant : « Pour faire dérailler un train, t'as une solution ? ». Le 16 avril, M. Z, agent SNCF, dont le portable est en réparation, retire chez Bouygues, en prêt, le téléphone utilisé par M. Y le 29 mars. A 14 heures, il y trouve le SMS cité plus haut. A 14 heures 10, il se rend au commissariat de police. Celui-ci obtient de Bouygues l'identité de M. Y et le place en garde à vue à 17 heures 15, pour non-dénonciation de crime. A 17 heures 25, c'est le tour de M. X d'être aussi en garde à vue. Après enquête, convaincu qu'il ne s'agit que d'une mauvaise plaisanterie, le lendemain dans l'après midi, le procureur ordonne de libérer les deux hommes.
Jusqu'à ce détail de la libération des deux innocents, les différents temps forts de cette aventure nous étaient indiqués à la minute près. J'y discerne le souci de bien mettre en évidence l'efficacité de notre police et le soin jaloux qu'elle porte à notre sécurité. Mais la narration s'est soudain révélée bien moins précise. En effet, un après-midi débutant juste après midi pour se prolonger au-delà de dix-huit heures, cette formule elliptique permet de dissimuler le fait que MM. X et Y ont peut-être été retenus plus d'une journée.
La relation devient proprement admirable lorsque Le Point demande au procureur : « Pourquoi Bouygues Télécom a ouvert une enquête interne ?» Celui-ci répond alors : « Les employés de l'opérateur n'ont pas le droit de consulter les SMS. Mais, s'ils tombent sur un message constituant une infraction pénale, ils se doivent de le dénoncer. Peut-être veulent-ils vérifier si un de leurs employés lit les messages ? » Je me doute bien que ces employés ne risquent pas de se blesser en tombant sur un message mais je souhaite que l'on m'explique le sens de cette phrase.
Je suppose que le ils, sujet de veulent, est différent du ils sujet de se doivent et désigne Bouygues Télécom. Apparemment, cet opérateur tient à ce que ses employés ne lisent pas les messages. Ce qui m'amène à poser la question suivante : comment peut-on savoir qu'un message constitue une infraction pénale sans l'avoir lu ?
En temps de guerre, la censure ouvrait le courrier pour y vérifier l'absence d'informations confidentielles. Les opérateurs téléphoniques s'arrogeraient-ils les mêmes privilèges ? Jusqu'ici, les écoutes téléphoniques nécessitaient la mise en place de branchements sur les lignes surveillées. Le flicage des citoyens se serait-il généralisé ? Au fait, serions-nous en guerre ?