Il regardait avec une indifférence amusée ceux qui croyaient que leurs expérimentations esthétiques étaient au coeur du monde, n’apercevant pas celles-ci comme des questions typologiques et locales. Ils évaluaient le monde d’après le filtre de leurs questions, n’observant les (autres) créations artistiques que selon ces critères, se transformant comme norme discriminant ce qu’il y a à faire et ce qu’il n’y a pas à faire. Il n’avait nul mépris pour cette orientation, mais il s’en sentait profondément étranger - il s’imaginait sans doute d’une autre époque - parce qu’il était quotidiennement saisi par le doute de son inimportance. Les machines technologiques qu’il utilisait étaient un rappel permanent à cette étrangeté au coeur même de la création: il héritait de ces machines, il ne les avait pas faites, c’était des objets indifférents. Tout comme le monde était autour de lui, il ne le contenait pas. Il y avait des questions dont il n’avait nulle idée et les oeuvres, pour lui, étaient des occasions pour ces questions de se poser, les technologies étaient aussi une occasion de nous rappeler à cette altérité en notre coeur même. Il savait pourquoi en Occident l’ego artistique avait été renforcé de telle façon que nous arrivions à ce surplus absurde et pour ainsi dire comique auquel personne, pas même les gens de l’art, ne croyait plus. Il y avait selon lui cet échange permanent des places vers le dehors, et c’est pourquoi, non pas quelque scrupule adolescent, mais par choix déterminé, il n’incluait pas son travail dans sa parole, ou simplement à la demande expresse de son interlocuteur. Son activité était en surplus du monde, une chance certes d’être en plus, mais un ajout. Ceci expliquait son apathie, même s’il gardait, il le savait, un peu d’attachement encore à ces objets d’enfance. La plus grande part de la production artistique était un soupçon du passé, un académisme dont la forme avait changé depuis le 19ème mais dont le principe structurel était resté le même: s’habituer à nos questions.