Avec tout le remue-ménage politico-médiatique et la polémique autour de la loi Hadopi, on entend beaucoup parler de ces « pirates » qui par leurs téléchargements illégaux, sont accusés de ruiner nos artistes et contribuer à l’appauvrissement culturel du pays… Le nouveau film de Richard Curtis, Good morning England, met en avant d’autres pirates, qui, eux, ont en revanche contribué à décoincer les mentalités et à faire connaître de nombreux artistes, en promouvant la pop et le rock’n roll.
Il nous replonge au cœur des années 1960, en Angleterre. C’était alors l’apogée du rock anglais, l’époque des Beatles, des Rolling stones, des Who et de tant d’autres. Et pourtant la BBC, seule station de radio autorisée par l’Etat, ne diffusait que 45 minutes de pop par jour. Alors, plusieurs amateurs ont eu l’idée de créer des radios « pirates » diffusant du rock 24h/24 (1). Pour contourner le problème du monopole de la radio d’Etat, ces stations émettaient depuis des bateaux situés dans les eaux internationales, donc indélogeables. Elles constituaient une épine dans le pied du très austère et très vieux jeu gouvernement britannique, qui a tout fait pour les interdire.
La plus célèbre de ces radios pirates anglaises s’appelait « Radio Caroline ». Elle est la seule à avoir osé braver la loi et à avoir osé continuer d’émettre, malgré les menaces d’abordage des autorités britanniques. C’est d’elle, et du navire qui l’abritait, que s’est inspiré le réalisateur de Love actually pour écrire le scénario de ce film, nostalgique d’une époque porteuse d’utopies et de rêves de liberté. Il a réinventé la station sous le nom de « Radio Rock », une antenne émettant depuis un vieux cargo sur la mer du Nord, au large des côtes anglaises et abritant une bande de DJs complètement déjantés, eux aussi inspirés de figures légendaire de l’animation radiophonique.
Le spectateur est plongé dans cet univers saturé de musique et de franche camaraderie en même temps que le personnage central du film, celui qui sert un peu de fil conducteur au récit. Carl est un jeune homme qui vient de se faire renvoyer de son lycée, et sa mère a décidé de l’envoyer acquérir sagesse et sérieux au grand large, auprès de son parrain Quentin, le capitaine du bateau de « Radio Rock ».
Mais on découvre bien vite que l’endroit n'est sans doute pas le plus approprié pour recevoir une éducation guindée et traditionnelle… Ca commence dès l’arrivée à bord et la première discussion avec le fantasque Quentin :
« - Pourquoi as-tu été viré de l’école ?
- J’ai été surpris en train de fumer…
- Cigarette ou herbe ?
- Les deux…
- C’est bien mon garçon ! Je suis fier de toi ! »
Et ça continue avec la présentation des autres occupants de l’embarcation, plus exubérants les uns que les autres. Il y a « Le Comte », un animateur star venu d’outre-Atlantique ; Dave, un anglais à l’humour aussi grand que ses appétits sexuels ; le romantique « Simple » Simon, qui cherche le grand amour ; le playboy « Midnight » Mark, un type énigmatique sur lequel les auditrices fantasment ; l’agaçant Angus « The Nuts », qui n’a aucun ami. Il y a aussi Wee Small Hours Bob, le hippie qui prend l’antenne aux heures les plus matinales avant de retourner enfumer sa petite cabine en écoutant des folksongs ; One-hour John, pour qui « les news et la météo sont [ses] seules raisons de vivre » ; « Thick » Kevin, un type à l’intellect tellement peu développé que l’alcool l’aide à lui « aiguiser l’esprit » ; bientôt rejoints par le légendaire Gavin, un type très coooooool, mais un peu prétentieux.
Seule représentante de la gent féminine sur le rafiot, la cuisinière Felicity, femme cent pour cent lesbienne, au grand dam de tous ces hommes.
C’est la règle : pas de femme à bord. Ca pourrait créer des tensions entre les différents animateurs, certains ayant une fâcheuse tendance à s’approprier les conquêtes des voisins et ayant une conception assez particulière du partage. Certes, c’est l’époque des mouvements hippies et de la libéralisation des mœurs, mais il y a encore quelques règles morales à respecter…
Le seul jour où les demoiselles sont autorisées à embarquer, c’est le samedi soir. Le bateau tangue alors sous les prouesses sexuelles des différents protagonistes. Et pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir une invitée, il reste l’alcool et la marijuana…
Hé oui, sur ce drôle de rafiot, la devise, c’est « sex, drugs & rock’n roll ! »… Pour l’éducation puritaine du jeune Carl, c’est raté. Mais il n’a pas été envoyé là pour rien et le séjour, riche en expériences et en émotions fortes, va lui apporter ce qui lui manquait pour trouver son équilibre…
Ce récit initiatique mouvementé sert de fil rouge au film, mais n’est que le prétexte à une formidable déclaration d’amour au rock’n roll. La bande-son est impressionnante, forte d’une soixantaine de tubes (2) qui donnent un panorama exhaustif de ce qu’était la scène musicale de l’époque, en Angleterre ou aux Etats-Unis : The Kinks, The Who, The Hollies, The Beach Boys, Smokey Robinson, The Supremes, Jimmy Hendrix, Procol Harum… Vous en voulez d’autres ? Alors : Otis Redding, Cat Stevens, The Isley brothers, David Bowie, Moody blues, Jeff Beck, The Rolling Stones, Leonard Cohen… Excusez du peu… Bon d’accord, il manque les Beatles, mais les droits d’utilisation de leurs chansons étaient sans doute trop élevés pour les producteurs, qui ont du déjà dépenser pas mal de leur budget en droits d’auteur, au vu de tout ce qui a été sélectionné… Donc, si vous voulez écouter des titres des Fab’four au cinéma, je vous renvoie à l’excellent Across the universe de Julie Taymor…
Quoi qu’il en soit, cette bande-originale énorme confère à Good morning England son rythme trépidant, mais aussi son côté mélancolique.
Car le film parle aussi de la fin d’une époque. Comme le pressent le « Comte », les personnages vivent alors leurs plus belles années. Le rock va continuer à se développer, bien sûr, mais il n’y aura plus cette émulation complètement folle des deux côtés de l’Atlantique, ce besoin viscéral de faire évoluer la société, ce vent de liberté créatrice et d’utopies. Et les radios pirates vont peu à peu disparaître, après avoir été cantonnées à la clandestinité pure et dure. Le gouvernement finira par trouver une parade pour rendre les radios pirates illégales (3). Mais ces politiciens appartiennent eux aussi à une espèce sur le déclin. La société est en train de changer et ils ne pourront plus très longtemps maintenir cette chape de puritanisme sur une jeunesse avide de liberté. La fin du monopole de la BBC va bientôt tomber et des dizaines de radios libres vont bientôt déferler sur les ondes…
Dans le film, ce fossé entre les ultra-conservateurs (4) et les modernistes est montré par l’affrontement à distance entre la bande de joyeux pirates et gouvernement, austère et passéiste, symbolisé par le ministre des communications Alistair Dormandy, un type tellement haineux et colérique qu’il en devient grotesque. D’autant qu’il est entouré de collaborateurs tout aussi ridicules, comme le dénommé Twatt (« vagin » en anglais familier, rebaptisé « Troudebal » en version française) ou de Miss Clit, la secrétaire godiche.
Dans le rôle de Dormandy, Kenneth Branagh s’en donne à cœur joie dans un registre plus proche des Monty Python que de ses habituels rôles shakespeariens. Il faut le voir, écume aux lèvres et rictus hargneux, balancer des répliques comme « Troudebal, nous tenons leurs couilles entre nos mains… Et c’est bon, Troudebal ! ».
Mais le reste du casting est tout aussi savoureux : Phillip Seymour Hoffman et Rhys Ifans, habillés de manière incroyable, campent des DJs charismatiques, véritables dieux des ondes qui rivalisent d’insolence et d’amour pour la musique. Nick Frost et Rhys Darby se balancent des vacheries avec classe. Et Bill Nighy, tout en humour pince sans rire et en cool attitude altière, est irrésistible. A côté de ces acteurs confirmés, on trouve tout un tas de talentueux acteurs anglais, dont le jeune Tom Sturridge, qui laisse entrevoir un talent prometteur. Plus quelques guest-stars réjouissantes, comme Emma Thomson, Gemma Arterton ou Talulah Riley.
Aucun des acteurs ne cherche à voler la vedette aux autres et l’esprit de troupe qui règne à bord apporte beaucoup au charme de cette comédie pétillante.
Certains regretteront peut-être la facilité de certaines ficelles scénaristiques, qui créent artificiellement le rire, le suspense ou l’émotion. Mais cela fonctionne plutôt bien. Scénariste de Quatre mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill et de Love actually, Curtis sait comment s’attirer la sympathie du public, et il le fait ici sans trop tomber dans la mièvrerie ou l’humour graveleux, ce qui est tout à son honneur.
Good morning England est un film à l’énergie communicative. On en sort le moral gonflé à bloc, le sourire aux lèvres, de la musique plein la tête et un soupçon de nostalgie au fond du cœur… Un bilan plus que positif pour une comédie grand public que je recommande donc chaudement à tous mes lecteurs en quête d’un divertissement de qualité…
« Rock’n roll is here to stay ! »
Note :
(1) En fait, ces radios occupaient initialement les ondes dans la journée, de 6h à 18 h, pour laisser ensuite le champ libre à Radio Luxembourg, qui diffusait des programmes en anglais à partir de 18h. Par la suite, elles ont également occupé le créneau de 20h à un peu plus de minuit. Quoi qu’il en soit, elles diffusaient bien plus de musique pop que la BBC et ont vite conquis un public constitué majoritairement de jeunes femmes au foyer, de jeunes enfants et d’adolescents.
(2) La bande-originale triche un peu, puisque certains titres sont sortis après 1966/1967, date à laquelle le film est censé se dérouler…
(3) Les radios ont été déclarées dangereuses car susceptibles de brouiller les signaux des cargos en détresse.
(4) Ne pas prendre le terme au sens politique. Le gouvernement de l’époque n’était pas conservateur mais travailliste. Le premier ministre était alors Harold Wilson et le ministre qui mena le combat contre les radios pirates s’appelait Tony Benn.
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