Un 4 juillet en Amérique.
Avec ou sans confitures, les rôties du matin goûtent le métal. Sans cheveux, les papilles ferreuses, me voici, ex-princesse mutante, Lady Hickory, Dame de Fer-Blanc, dépossédée du bon usage de ma dépouille ô combien mortelle. Ligotée, armurée, projetée à mon corps défendant au pays d'OZ, moi qui ai toujours détesté les magiciens, d'OZ ou d'ailleurs, les balades en forêt, et par-dessus-tout ce film affreux, qui me glaçait, petite. Ce Seule dans la forêt de mes dix ans, m'y revoici à quarante-huit, terrifiée non pas d'être seule, mais de l'être dans la forêt.
Définition de ce lieu oppressant dans mon Petit Robert psychique:
Forêt : Labyrinthe humide sans panneau lumineux affichant EXIT, foisonnant de personnages hideux, de lions sans couilles et de têtes de linottes empaillées. Lieu sans porte ni fenêtre, doté d’un plafond bas et d’un plancher visqueux. Tout y revêt une couleur vert de gris. On y entend les corbeaux sans les voir, cachés qu’ils sont par des tentacules branchues, lesquelles se dressent sur notre chemin exprès pour nous crever les yeux. Synonymes : trappe, piège, cage, enfer.
Le bois, en comparaison, constitue un lieu acceptable, voire agréable. Juste assez d’oxygène, juste assez de lumière. De plus petite superficie, il laisse entrevoir une issue, une éclaircie, un plan d’eau, un morceau de ciel, un brin d’horizon. Entre les feuilles s’immiscent un, deux, trois rayons de soleil, puits de lumière où le regard se fraye un chemin joyeux. Hospitalier, le boisé vous accueille sans vous engloutir, la porte demeure visible et entrouverte. Faune et flore se laissent admirer sans se jeter à votre figure. Le bois est un être civilisé.
Puisque, au quinzième jour post-première-chimio, mes tartines goûtent le métal, puisque le café soulève des raz-de-marées gastriques, replions le journal du matin dont les lignes sautillent de toute façon.
Petit moment patate de sofa, réfugiée en boule dans la doudouillette. Sous le coussin, ma main tombe sur un minuscule sac aux couleurs criardes de poncho chilien, cadeau de soeurette Pensée magique. Poupées d’inquiétude, poupées d’inquiétude, à l'aide, à moi!
Elles apparaissent illico, dans leurs robes effilochées, et enfouissent ma peur et mes nausées sous leurs crinolines magiques. La sorcière chimio lâche un grand cri, mord la poussière, et disparaît dans sa forêt glauque.
Elle reviendra, mais bénie soit la trève.
Et hop, je m'arrache de la doudouillette et enfile ma tenue d’athlète de chez Winneuse.
Au miroir, en passant : Attache ta perruque, Iron woman, c’est l’heure du jogging. À défaut de papilles et d’estomac, tu disposes encore de jambes et de poumons valides.