Pendant la perestroïka (réformes sociales et économiques de 1985 à 1991 en URSS), il a été admis de s'indigner : que dira-t-on de notre pays, si nous ne connaissons pas le nombre exact de pertes essuyées dans la Grande Guerre Patriotique ? L'expérience mondiale est un bon médicament contre le complexe d'infériorité. De nombreux autres pays, y compris l'Allemagne, notre principal adversaire dans cette guerre, se heurtent aux mêmes problèmes. La RFA avait rendu public en 1953 le bilan "presque définitif" des pertes : 6.500.000 morts, dont 3.250.000 militaires. Il est vrai, les auteurs du rapport gouvernemental avaient ajouté que le "bilan réel serait plutôt plus élevé" que les chiffres cités en 1953. Selon des sources officielles, le bilan des pertes militaires allemandes est évalué aujourd'hui à 5.533.000 personnes, mais, évidemment, ce chiffre n'est pas non plus définitif.
"D'après nos estimations, les pertes militaires générales de l'Armée Soviétique se sont chiffrées à 8.668.400 personnes, a déclaré Alexandre Kiriline, chef du Département du ministère de la Défense pour la commémoration des morts pour la Patrie. Bien entendu, ce chiffre n'est pas définitif. Il peut s'accroitre de 100, 200, voire 300.000 personnes, mais pas de millions".
L'historien militaire indépendant Alexeï Issaïev estime que le rapport entre les pertes soviétiques et allemandes de 1 à 2 fut le même durant la majeure partie de la guerre, bien qu'il ait atteint 1 à 3, même 1 à 4 aux moments les plus difficiles, surtout durant l'année tragique de 1941. D'ailleurs, à cause du chaos qui régnait lors du recul de l'armée soviétique au début de la guerre, les statistiques militaires de 1941 contiennent d'immenses "taches blanches" : selon l'affirmation d'Alexandre Kiriline, les soldats de nombreuses unités qui se trouvaient dans l'encerclement furent considérés comme morts, alors que beaucoup d'entre eux gagnèrent ensuite les leurs et continuèrent à combattre. Les Allemands se heurtèrent aux mêmes difficultés en 1945, lorsque, selon Alexeï Issaïev, de nombreuses pertes ne furent pas prises en compte à cause de l'état déplorable des bureaux de statistiques du Reich qui tombait en ruines.
Alexandre Kiriline et d'autres employés de son département affirment que les prisonniers de guerre soviétiques péris dans la captivité nazie, ainsi que 103.000 personnes fusillées pour désertion, selon le verdict des tribunaux soviétiques, font également partie de ces pertes de 8,68 millions.
Il convient de signaler que la question relative aux prisonniers de guerre ne sera probablement pas élucidée entièrement. Selon les estimations du Département, il y avait environ 4,5 millions de prisonniers de guerre soviétiques, dont environ 2 millions sont retournés dans le pays. Il est difficile d'établir le sort des autres. La majeure partie d'entre eux sont certainement morts en captivité, mais 390.000 à 700.000 d'autres ont choisi de s'installer dans des Etats occidentaux ou de rester en Allemagne et dans d'autres pays de captivité. "Les Américains nous transmettent actuellement des données sur certains d'entre eux", a fait savoir Alexandre Kiriline.
La base électronique plus ou moins définitive des pertes essuyées dans la Grande Guerre Patriotique sera soumise à l'opinion publique en mai de l'année prochaine. D'immenses pertes non militaires essuyées par l'URSS, essentiellement parmi les civils (18 millions de personnes), selon les nouvelles estimations, suscitent déjà des doutes. Mais puisque 32,400 millions de personnes firent alors l'objet de la mobilisation (mis sous les drapeaux) en URSS dans des périodes différentes, il devient difficile de séparer les pertes militaires des pertes civiles.
D'ailleurs, il est clair dès aujourd'hui que la base des pertes militaires ne cessera d'augmenter. Il faut avouer que la Seconde Guerre mondiale fut une catastrophe aussi épouvantable que nous n'apprendrons jamais toute la vérité sur elle, y compris le nombre exact de morts. Par conséquent, les débats ne cesseront pas, entre autres, sur des sujets aussi délicats que le nombre de victimes, la responsabilité de tel ou tel chef militaire, la contribution apportée à la victoire par tel ou tel pays, etc.
"L'état des mémoriaux militaires érigés en Russie est encore pire", fait remarquer Alexandre Kiriline. Notre pays compte 26.000 tombes communes et quelque 28.000 mémoriaux. Faits de matériaux bon marché dans les années 1950, ils tombent rapidement en ruines. Le ministère de la Défense et le Comité Victoire ont proposé un projet de programme fédéral de rétablissement de ces monuments. Ce programme échelonné sur 5 ans prévoit l'octroi de 10 milliards de roubles (229,4 millions d'euros). La lutte pour cet argent du ministère des Finances promet d'être dure.
Source du texte : RIA NOVOSTI