Depuis quelques temps, ce blog me manquait. Ecrire me manquait. Je n'arrivais pas à me l'expliquer. Mais je crois que la raison est toute simple : écrire permet de me parler, de me confronter, de
penser à moi. De comprendre. Poser des mots, dire les choses, communiquer, c'est ce qui permet d'avancer. J'ai complètement merdé à ce sujet ces derniers temps.
Avant, mon écriture était tabassée à coups de points d'exclamation. J'avais la pêche, c'est le moins que l'on puisse dire. Aujourd'hui, mon écriture est rythmée de points fatigués. Ma rhétorique
diffère, elle en deviendrait plus calme et posée. Moins hargneuse. Epuisée.
C'est une bien étrange expérience que je traverse en ce moment. Je mène une vie d'ascète. Elle n'est pas voulue, elle est imposée. Je suis dans une espèce de pauvreté qui prend plusieurs
formes.
Financièrement, je vis chichement. Le lancement de Jackuse impose un train de vie où je compte mes sous jour après jour. Je ne peux me permettre aucune folie, je mange à l'économie, je me déplace
à pied. Certains jours, les circonstances de CAF, revenus et dépenses nécessaires font que j'en arrive à économiser des tickets de métro pour m'acheter un jambon beurre. Bon, c'est un peu du Zola
dit comme ça, mais je ne cherche aucune pitié. Cela n'a rien à voir. Je décris. Ce quotidien-là est monnaie courante dans cette société. Rien de novateur, c'est très banal. Il faut dire que
lancer son entreprise nécessite de lourds investissements, et on a beau prévoir tout ce qu'on peut, il y a toujours des dépenses auxquelles on n'avait pas songé qui tombent.
Matériellement, je vis à Sparte. Mes conditions de vie sont très précaires. Je squatte le local loué pour Jackuse. C'est grand, et d'apparence en bon état. Mais quand on regarde de plus près,
c'est un taudis. Il y a du salpêtre sur les murs, derrière les lambris. Il n'y a pas d'eau chaude, les fils électriques dénudés sous le chauffe-eau ont dû avoir raison de lui.
Hier, j'ai tout de même voulu prendre une douche. L'eau froide, c'est froid, aucun doute là-dessus. Je sors de la douche, et j'entends des plops plops plops. Je dévale quatre par quatre les
escaliers, muni d'une mignonne petite serviette autour de la taille, manquant de me vautrer comme une merde au rez-de-chaussée, devant la vitrine et les passants. Et là, que vois-je ? L'eau
pissait du plafond par deux endroits. L'eau de la douche coulait sur les cartons disposés au rez-de-chaussée. J'ai fréquenté pas mal d'apparts, je n'avais jamais vu un pareil spectacle. Pour un
dégât des eaux, c'est un sacré dégât des eaux. L'eau traverse le plancher en bois, passe au travers de fils électriques des spots du plafond. Le plancher en bois est de fait pourri.
Autre exemple, quand on soulève un coin de lino dans la petite cuisine à l'étage, on croirait voir de la terre battue. Le plancher est tellement rongé qu'il a disparu. Je pourrai y semer du
gazon.
Autre exemple, l'installation électrique n'est pas aux normes. Un électricien est passé, un huissier aussi. Ils n'en revenaient pas d'avoir affaire à une telle installation. Sur le compteur
datant de plusieurs décennies, il y a encore des fusibles en porcelaine, ou céramique, je ne sais plus. L'électricien m'a dit que c'était la première fois qu'il en voyait.
Bref, je vis à Sparte. Je ne peux pas me doucher ni cuisiner. Je prends des douches quand je vais chez ma moitié ou chez les amis. Je mange chaud rarement. Je vis chichement. Mais cela rend
humble. C'est une expérience intérieure intéressante en soi. En même temps, je n'ai pas à me plaindre de ce local. Mais en ce moment, c'est un souci de plus parmi les autres.
Sentimentalement, j'ai une métaphore, actuellement, qui me parle. Je me sens comme une vieille pute souillée et délaissée sur une aire d'autoroute. Elle est violente cette métaphore, et elle fait
rire, souvent.
Faut bien le reconnaître, je suis dans un état de fatigue avancé. L'entrepreneuriat exige un investissement de soi qui ne laisse aucune place au répit. Mais c'est aussi le prix à payer. Et c'est
aussi intéressant en soi. Je ne m'en plains pas, c'est une concession à accepter. L'important, c'est qu'après cet engagement total viendront les jours plus calmes, plus heureux, plus posés. Une
fois que le site sera lancé, cela ira déjà beaucoup mieux. Il y a sans doute aussi du stress là-dedans. Je ne suis pas quelqu'un de stressé de nature, mais je serais bien prétentieux si je
considérais que le stress ne me concernait pas. Jackuse est un pari risqué, il y a beaucoup d'enjeux. Je n'ai pas le droit de me planter, il faut que je sois irréprochable dans mon travail, car
c'est tout ou partie du succès. En soi, c'est un stress, qu'il soit conscient ou non.
Socialement, je me renferme sur moi-même. Ma vie sociale est aussi une vie d'ascète. Je vois beaucoup moins mes amis, j'ai du mal à penser à autre chose, j'oublie de prendre du temps pour moi.
C'est dangereux, et j'en ai pris conscience. Allié à une vie sentimentale complexe, j'en oublie totalement de penser à moi. Ecrire aujourd'hui est le reflet d'un besoin urgent d'y remédier. J'ai
pu constater par le passé que mon instinct de survie est sacrément tenace. Les fondations de ma maison intérieure sont solides. Mais quand je me nie, c'est qu'il y a péril.
Je suis épuisé, parce que je ressens aussi que je suis sans cesse en train de combattre, de lutter. J'ai oublié ce qu'était le repos. J'ai oublié ce qu'était d'aller au cinéma, de prendre un
week-end pour soi. Je me bats quotidiennement, pas contre des châteaux en Espagne, non, c'est très concret tout ça. Je me bats pour que ma vie sentimentale s'améliore, pour que mes conditions
actuelles de vie s'améliorent, pour que l'entrepreneuriat aboutisse, réussisse. Je me bats aussi pour le local, à coups d'huissier, d'avocate, d'artisans, de propriétaire, de notaire. Fichtre
qu'est-ce que ça me fatigue !
Quand je me regarde dans la glace, je ne me trouve pas désirable. Quand on me dit que je suis beau, car il n'est pas question de noircir le tableau non plus même si les affaires du coeur sont
complexes, je n'y crois pas. Je manque sans doute de reconnaissance, je donne beaucoup mais je reçois peu. Les déconvenues ne sont pas rares. Il faudrait sans doute que je donne moins, que je
devienne quelque part égoïste, mais je ne suis pas forgé dans ce métal-là. L'amour est noble, généreux, réciproque, et renforce à mes yeux. Comment pourrais-je aller à l'encontre de ma conception
de l'amour ? C'est une tâche peu évidente. Ce serait un nivellement par le bas. Ce ne serait pas constructif. Ce serait mourir à petits feux. Je me sens comme une pute délaissée sur une aire
d'autoroute, disais-je. Je suis aux abonnés absents, on a oublié de m'inviter dans l'aventure. Et elle n'y est pour rien. Problème d'attentes d'un côté, et d'absence d'attentes de l'autre. C'est
simple et compliqué à la fois.
C'est une expérience intérieure étrange, disais-je en introduction. Elle est éreintante, mais je suis persuadé, optimisme oblige, qu'elle est très enrichissante. Je suis au niveau 0 du bâtiment :
manger, dormir, aimer. Mes prétentions sont somme toute très modestes. J'avais peur qu'elles soient trop exigeantes, la garde rapprochée de mes amis me confirment que non. Ouf.