Chacun son tour. Après avoir laissé Gabrielle seule en charge des enfants durant deux semaines, c'est à mon tour de m'occuper de
la marmaille. Nous sommes descendus hier à Marseille où Gabrielle doit m'attendre quatre ou cinq jours. Après une nuit passée à ses côtés, je suis donc de retour à la maison, le temps que sa mère
arrive et prenne le relais, dimanche prochain en principe.
Cette situation n'est confortable pour personne. À commencer par ma douce qui se retrouve seule à Marseille, à moins de trois semaines du terme, et sans personne pour l'amener à la maternité au cas
où l'accouchement se déclencherait plus tôt que prévu. Vous me direz qu'il y a toujours les pompiers, mais cela remettrait complètement en cause la démarche à laquelle nous sommes pour l'instant
parvenus à rester fidèles. Je sais que Gabrielle fait tout pour que Salomé ne soit pas trop impatiente, à commencer par lui expliquer la situation; chaque jour qui passe nous rapproche du moment où
nous serons réunis, cette fois jusqu'à la naissance de notre fille... mais le doute subsiste.
À cet aspect quelque peu anxiogène s'ajoute la solitude à laquelle Gabrielle n'est guère habituée (ben oui, quatre enfants et un homme ça occupe...) et qu'elle n'affectionne pas. Nous restons en
contact par mail et par téléphone, mais je sais que cet isolement au cœur d'une grande ville lui pèse. Sans compter qu'Ulysse lui a déjà fait comprendre qu'il n'approuvait pas du tout cette
séparation ! Les enfants lui manquent, je ne suis pas à ses côtés pour lui remonter le moral et comble de la situation, toute activité susceptible de l'occuper et de faire passer le temps un peu
plus vite lui est interdite pour éviter de donner envie à Salomé de prendre l'air plus tôt que prévu.
Pour moi non plus, la séparation n'est pas agréable. Mais ma position est plus enviable que la sienne à bien des égards. La solitude est rarement un fardeau pour moi; au contraire, je la recherche
régulièrement. Sans Gabrielle, il me manque une part de moi-même, c'est une évidence. Mais dans la perspective de bientôt la revoir, je sais m'accommoder de cette amputation temporaire. Et puis, on
ne peut pas dire que je sois seul. Mes enfants sont avec moi et s'occuper d'eux est, en soi, une assurance contre l'ennui et la mélancolie. Sans compter le travail sur lequel je n'ai pas avancé
durant mes deux semaines d'absence et qu'il convient maintenant de rattraper, voire même d'avancer, en prévision de la nouvelle pause professionnelle que va occasionner la venue au monde de notre
petite princesse.
Pour inconfortable qu'elle soit, cette situation ne m'inquiète pas vraiment. Je reste confiant en notre bonne étoile. Nous avons fait tout ce qu'il faut pour voir notre rêve se réaliser, nous nous
sommes démenés comme des beaux diables, nous avons affronté les foudres et les ricanements d'une légion d'obstétriciens sans jamais céder au découragement, nous nous sommes préparé à cette
naissance avec l'intime conviction que Gabrielle a en elle toute la force et les compétences nécessaires pour réussir cet AVA2C. Nous sommes maintenant à quelques encablures de ce fantastique
événement qui marquera notre vie et ces quelques jours de séparation ne sont qu'un peu d'écume à la surface de l'océan sur lequel nous voguons depuis de début de notre aventure. Tout se passera
bien, j'en suis sûr, et Salomé attendra que je les rejoignent toutes les deux pour pointer le bout de son nez. Je n'écris pas ça pour conjurer le sort ou pour mieux me rassurer, j'en suis
intimement persuadé. C'est dans l'ordre des choses.