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LES MURS NE CROULENT PAS [4]
Il existe, par exemple, une formule
en chaque coquillage :
la mer pousse, continuelle,
et ne peut rien contre corail,
os, pierre, marbre
taraudés du dedans par cet artisan,
l’hôte de la coque :
huître, palourde, mollusque,
c’est un maître-maçon qui façonne
la merveille de pierre :
oui, cet ermite amorphe, flasque
là-dedans, comme la planète
pressent le fini,
il limite l’orbite
de son être, sa maison,
temple, sanctuaire, lieu saint :
il délivre les portails
à intervalles fixes :
tiraillé par la faim,
il s’ouvre au flux de la marée :
mais l’infini ? non,
de rien-de-trop :
je ressens ma propre limite,
les mâchoires de ma coque claquent
et refusent l’invasion du sans-limite,
le poids de l’océan ; l’infinité de l’eau
ne peut me briser, moi œuf dans ma coquille ;
cercle clos, immortel, complète
plénitude, je sais la force
de la marée, et la bonace
tout autant que la lune ;
le poulpe et son obscurité
sont sans pouvoir contre
sa froide immortalité ;
de même moi à ma façon, je sais
que la baleine
ne peut me digérer :
tiens bon dans ton orbite limitée, statique,
toute petite, et les mâchoires de requin
de ce qui dehors t’entoure
te recracheront :
sois indigeste, dur, sans cœur,
et ainsi vivant en dedans,
engendre-toi, toi-même de toi-même,
et sans toi,
cette perle-de-grand-prix.
Hilda Doolittle, Les murs ne croulent pas, in Siècle 21, n° 14, Printemps-Été 2009, pp. 92-93. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Auxeméry.
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