Narcisse nâa pas existĂŠ et Narcisse est un con.
Narcisse est un con parce qu’à force de ne pas exister, personne ne connaît plus son histoire. Une histoire de jeune hétéro qui se la pète et qui malgré les prétendantes ne s’intéresse qu’à sa petite personne. Il est beau, jeune et riche, un bon parti, fils d’une nymphe et d’un fleuve, ce qui n’est pas banal. Il aurait pu sans problème avancer brillamment dans le monde, le pull Ralf Laurens, négligemment jeté sur les épaules et le jean Diesel taille basse mais pas trop, se faire une belle place au soleil et se la couler peinard. Au lieu de ça, il trébuche sur un os de taille : il tombe amoureux et gravement amoureux, c’est-à-dire pas la bluette, genre kleenex, non, le truc lourd, obsessionnel, qui vous bouffe la vie et le discernement. A son âge, rien d’anormal, c’est dans l’ordre des choses, mais le problème est dans l’objet de cet amour. Impossible dans cette situation de savoir, et pour cause, s’il y a réciprocité des sentiments. En effet il est tombé amoureux de son propre reflet, éperdument amoureux de cette image aperçue dans l’eau sale d’une mare d’un coin perdu. Et il est devenu si accro de cette image, qu’il refuse alors tout autre contact qu’avec lui-même (on dit qu’il narcissique). Il finit par rechercher ce reflet adoré jusque dans les eaux du Styx, fleuve de l’enfer et à force de s’y mirer et de s’y admirer, toujours et encore, y mourir beaucoup plus tôt qu’à son tour. La beauté de cette agonie égocentrique, médiatisée et sans Echo ( ?!)ce sont les traces de sang qu’il laissât sur un carré de pelouse d’enfer et qui se transformèrent finalement en une fleur qui depuis porte son nom.
Narcisse est un con parce qu’il ne s’est pas contenté de cette belle histoire exemplaire et de cette transmutation, pour rester à la postérité.
Narcisse est un con parce qu’Il a inventé en plus un fléau ravageur : le narcissisme.
Au départ Le narcissisme est une affection bénigne et courante qui consiste à se regarder le nombril en permanence et à juger et appréhender le monde rétréci à l’aune de ce petit repère fondamental. Les symptômes de cette affection, qui ne touchait au départ que les jeunes gens et les jeunes filles, sont un manque de souffle, parfois des bégaiements et des redites, une tendance forte à tourner en rond, une myopie certaine et un comportement petit bras accompagné d’un fond de mélancolie.
Narcisse est un con parce que de cette maladie, anodine au départ, et qui finissait par passer avec le temps sur les sujets vieillissants, s’est étendue de façon alarmante à des franges plus larges de la population.
Narcisse est un con parce que l’épidémie de narcissisme fait aujourd’hui des ravages chez des adultes, de tous les ages, mais aussi sur des communautés entières et plus récemment sur de grandes sociétés industrielles et même des administrations.
En ce qui concerne d’abord les adultes contaminés, on les repère facilement lorsqu’on les voit s’évertuer à tourner en rond, en faisant de grands discours « borborygmes » avec un taux d’autosatisfactions à « tendances fœtales complexes» et à s’examiner sous toutes les coutures et les moindres recoins, en prétendant s’ériger sinon en exemples au moins en critères. Cela produit, par exemple, une littérature du « moi je », obscène, empreinte d’une gravité grandiloquente, qui voudrait passer pour du style, le tout sans intérêt pour une communauté saine. Cette année encore, la rentrée dans ce qu’elle a de littéraire, nous propose àl’étude son lot de malades contaminés. S’ils proposent et prétendent inventer des sujets différents, beaucoup ont en commun de prendre la littérature pour un exutoire à vocations thérapeutiques. On sait pourtant depuis les fulgurances sublimes et géniales de Rimbaud que, en ce qui concerne la rémission du mal de vivre, cette voie est irrémédiablement sans issue. On sait depuis la trajectoire mythique du poète, qu’il faudra toujours la vraie vie, « sa réalité rugueuse à étreindre », ses amputations, ses ventes d’armes, ses petits trafiques et autres grandes combines, son opium et ses parfums, et tout un amas de mystères de l’autre qui ne dit rien, de la part d’ombres de tous les inconnus ordinaires, ou non, qui grenouillent et dont on ne sait pas grand-chose, de désirs inassouvis, de soif du mal ou de rédemption.
Et tant d‘autres choses… Plus simples, plus complexes, inconnues ou redondantes.
On devrait savoir qu’il faudra toujours se coltiner à ce réel. Même si il faut le réinventer, le réinterpréter et quelquefois le voler même, le dérober à d’autres. Imaginer ! Mais on devrait toujours être sûr aussi, que pour « faire littérature », on ne peut se contenter de se le re/faire simplement, ce réel, pour juste s’y retrouver, avec ce « je » encombrant. Ce « Je » d’autant plus encombrant que souvent déguisé de la figure d’un autre, romancé, et déambulant dans ce réel d’illusion, ce « décor », plus ou moins réaliste, plausible, crédible, prégnant, qui n’est en fait qu’un miroir de plus pour tenter de s’y voir vivre et s’agiter.
Nombre des livraisons de cette rentrée participent à cette spoliation du réel en faisant illusion et grand bruit.
Le livre de Yasmina Réza, par exemple, qui Yasmine son Sarkozy, prétendant nous faire côtoyer les arcanes d’un homme en quête du pouvoir. En fait, on s’y ennuie très vite, peut être d’abord parce que la figure du prétendant Sarkozy est assez simple, voire simpliste, mais surtout parce que ce réel que Yasmina parcourt dans cette quête, n’est là, non pour Sarkozy mais pour elle. Dans ce livre, ce réel décrit là, auquel nous, lecteurs, n’avons pas accès, n’est là que pour servir de miroir à l’auteur. Le sujet de ce livre n’est pas l’homme Sarkozy, mais la femme Yasmina qui côtoie une bande, (qui au passage ne lui livre pas grand-chose que l’on ne savait déjà) de privilégiés dont le chef veut devenir chef des chefs. Le manque de densité, la vacuité et l’éventuelle frustration qui émanent de ce livre proviennent de ce malentendu : sous l’apparence d’un projet ambitieux, Réza nous livre le portrait d’une errance, légère et volatile, sans profondeur, sans désir. Errance d’une femme qui ne parvient pas à entrer totalement dans le sérail et du coup ne perce rien et ne met à jour que son narcissisme et ses manques.
On peut encore citer Darrieussecq qui s’invente une douleur pour mieux voir/montrer comment elle s’en dépatouillerait. Elle s’invente un pathos exacerbé, par le sujet sensible, la mort d’un enfant, qu’elle prétend dominer ne serait ce que par le projet d’écriture. Malhonnête.
Michèle Lesbre qui depuis toujours tourne autour du pot. Et même si elle le fait avec des gestes et des postures qu’elle voudrait élégants et délicats, elle ne fait que dépeindre, et depuis le début, ses manques et ses impuissances à aimer. Il y a même un côté peine à jouir qui s’ignore, qui sourdre de ses phrases courtes et ses silences essoufflés, sans ampleur ; à force de technique, de mesure et de petit pas tendus dans des phrases hachées menues, elle finit par percer et se retrouver dans les listes. Peut-être arrivera-elle à en jouir ? Imposture.
Amélie Nothomb ne nous épargne pas non plus mais elle le fait avec beaucoup de maîtrise et de rouerie tant son narcissisme a dépassé les bornes de l’entendement. Tant et si bien que l’on ne croit plus une seule seconde à quoi que ce soit. Ni a sa sincérité, ni à ses pompeuses réflexions, incongrues, ni à la littérature, elle raconte ses histoires, grotesques et menteuses, comme dans un feuilleton, sans fin, et dérisoire. Dérisoire.
Heureusement Narcisse est un con et il y a cette rentrée d’excellents romans, il en restera bien quelques choses. On en reparle sous d’autres blogs.
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