Plus d'un siècle et demi. Mis à part le Parti radical — du moins ce qu'il en reste — seul le Parti socialiste peut se prévaloir d'être inscrit dans l'histoire de France de manière aussi durable et aussi profonde. Denis Lefebvre, historien, était présent à Evreux, hier soir, devant une belle salle réunie au siège de la Fédération de l'Eure du PS, pour conter cette histoire qui débute, même si on ignorait le mot socialisme, dès 1789.
Cette saga hitorico-politique (1) peut se découper en cinq tranches : de 1789 à 1871 (et la fin de la Commune de Paris dans un bain de sang) de 1871 à 1914 (avec l'affaire Dreyfus, Jaurès et la guerre de 14-18) de 1914 à 1958 (scission avec le PCF, La seconde guerre mondiale, la guerre d'Algérie et l'avènement du Gaullisme) de 1958-1965 à 1981 (création du PS à Epinay en 1971, programme commun de gouvernement arrivée de François Mitterrand à la présidence) de 1981 à 1995 et enfin de 1995 à nos jours.
Le socialisme c'est d'abord et avant tout le progrès des conquêtes sociales. Il se définit aussi comme une pensée collective au service de la France certes mais également dans le cadre d'un internationalisme rassemblant les progressistes de tous les pays. Denis Lefebvre a insisté sur plusieurs points : jamais les socialistes n'ont appartenu, en France, à un parti de masse. Aux meilleurs jours, le PS n'a jamais dépassé 230 000 adhérents. Il a toujours été traversé par des courants, des tendances, des scissions : « Ceux qui sont partis ne sont jamais devenus majoritaires ». Autrement dit, le parti peut se tromper mais les Français considèrent que le PS demeure le parti d'alternance et représente le socialisme.
Autre donnée fondamentale : quand les socialistes sont au pouvoir, cela se sait. Jaurès puis Léon Blum puis le Front populaire (les congés payés etc.). Avec François Mitterrand le bilan du premier septennat est exceptionnel. Idem avec Jospin. Malgré les difficultés nées de la globalisation des échanges et des capitaux : « Marx redevient très tendance » remarque Denis Lefebvre.
Mais le PS a un problème, grave : il n'a pas encore accepté, intégré, l'élection du président de la République au suffrage universel. « Cette façon de s'adresser directement au peuple, en court-circuitant les intermédiaires, ce n'est pas dans notre culture. » C'est si vrai que les socialistes et les démocrates républicains (Pierre Mendès France) ont voté contre l'élection du président au suffrage universel, un choix qui correspond plus aux méthodes, aux modes de pensée de la droite. Personnellement, je ne comprends pas toujours pas pourquoi Lionel Jospin s'est empressé d'accepter le quinquennat et d'inverser le calendrier avec les législatives. Ces décisions ont servi la droite et la servent encore.
Denis Lefebvre a souhaité demeurer discret sur la dernière élection présidentielle et sur le rôle du parti : « j'ai connu ces élections depuis 1974. Parfois, le parti est partie-prenante, parfois, il l'est moins. » Christian Renoncourt interroge Denis lefebvre sur les rapports des socialistes avec l'extrême gauche et avec le MODEM. La question des alliances va forcément se poser. « Bayrou et les siens appartiennent au PPE à Bruxelles (la droite avec l'UMP) et à Paris, ils sont plus socialistes que les socialistes. Le centre, ça a toujours été la droite. » Il rappelle comment Mitterrand est allé chercher chez les centristes ceux qui « étaient les plus proches des progressistes. » Une incitation à continuer ?
La vieille maison est toujours debout. Malgré les difficultés, les heurts et les malheurs de l'histoire, le socialisme s'invente constamment. Yves Léonard, premier secrétaire fédéral de l'Eure, a eu la bonne idée de nous inviter à réfléchir à l'essentiel alors que des campagnes électorales vont accaparer candidats et militants. Entre 1981 et 1995, la pensée socialiste a flâné, elle ne s'est pas remise en question. Depuis 12 ans, elle a laissé l'initiative idéologique à la droite. Il est grand temps de revenir. Pour empêcher Sarkozy de nous « voler » les images de Jaurès et Blum. Une véritable imposture.
(1) Denis Lefebvre et Yves Bergounioux « le socialisme pour les nuls ». A mettre entre toutes les mains.