Voici la lettre ouverte où Martine Aubry explique sa position aux artistes de gauche qui l’ont interpellée sur l’opposition du PS au projet de loi contre le téléchargement illégal, publiée jeudi 7 mai dans le Monde :
Vous êtes confrontés à une réalité dure que je connais : quel devenir pour le droit d’auteur à l’époque d’Internet ? Comment financer la création en France en toute indépendance ? Comment soutenir les artistes et notamment les plus jeunes au moment où les pratiques des publics changent et où le pouvoir d’achat est en baisse ? Tout cela, je le sais, et je comprends vos inquiétudes et vos angoisses.
Mais, c’est justement au nom de ces convictions et de ces valeurs, qui sont celles de la Gauche, que nous nous opposons à un texte qui retarde une nouvelle fois l’urgente adaptation du droit d’auteur à l’ère numérique.
Depuis toujours, le Parti socialiste est aux côtés des artistes. Il l’a montré ces dernières années, lors du conflit des intermittents du spectacle – j’y ai d’ailleurs pris ma part comme Ministre du travail – ou en s’opposant depuis sept ans à ce que le Ministère de la Culture devienne le parent pauvre de la République. Sept ans où l’on a sabré les crédits de la création, étouffé l’éducation artistique, dépouillé l’audiovisuel public des ressources complémentaires de la publicité qui l’aidaient à soutenir la production cinématographique, imposé une taxe compensatoire aux fournisseurs d’accès qui aurait justement pu servir à la rémunération des auteurs.
En cela, les socialistes ont été à l’avant-garde pour dénoncer la remise en cause d’un modèle culturel qui a été longtemps un objet de consensus dans notre pays.
En nous opposant à Hadopi, nous nous inscrivons dans la droite ligne de la loi votée à l’unanimité par le Parlement en 1985 qui, en s’abstenant de sanctionner les usages d’alors, avait créé une nouvelle rémunération pour la création : la redevance pour copie privée sur les CD vierges. C’est un défi identique qu’il est nécessaire de relever aujourd’hui au regard des nouvelles technologies, et nous regrettons que le projet de loi Hadopi soit une occasion manquée, et d’ores et déjà un pari perdu d’avance.
Nous considérons que ce texte est perdant-perdant : perdant pour les internautes sur lesquels va désormais peser une présomption de culpabilité; perdant pour les artistes, puisque le projet de loi ne rapportera pas 1euro de plus à la création.
Ce texte instaure en effet un dispositif répressif disproportionné qui n’offrira, à aucun moment, les garanties qui sont celles d’une procédure judiciaire : absence de procédure contradictoire, non-prise en compte de la présomption d’innocence, non-respect du principe de l’imputabilité, possibilité de cumuler sanction administrative, sanction pénale et sanction financière…
Force est de constater que la France est le seul pays à s’engager dans une telle voie, la Grande-Bretagne et l’Allemagne y ayant renoncé.
En s’opposant à ce texte aussi inutile qu’inefficace, les socialistes ont souhaité proposer des solutions alternatives afin que les artistes ne subissent pas cette transition et en soient plutôt les acteurs vigilants. Il est urgent d’agir : l’Internet doit financer la création culturelle. Les opérateurs des télécoms, les fournisseurs d’accès à Internet ont fondé une part de leur développement sur les échanges d’œuvres, sans contrepartie.
Cela n’est pas compatible avec une juste rémunération des droits d’auteur. C’est pourquoi nous voulons une nouvelle régulation créant un mode de rémunération adapté aux réalités de l’Internet, mais permettant aussi l’accès du plus grand nombre à la culture : ce sont deux objectifs de gauche qui doivent être poursuivis ensemble et non opposés.
Dans cette démarche, le Parti socialiste a le souci majeur de rassembler les créateurs et les internautes, c’est-à-dire les artistes et leur public.
Nous qui croyons en la force de la raison, à l’importance du dialogue dans une démocratie, à la force du débat, si important pour ceux qui défendent la culture et les idées, nous devons nous rencontrer, pour discuter, pour nous comprendre, et j’espère pour nous retrouver. Pour cela, je vous réitère notre invitation.
Martine Aubry, première secrétaire du PS
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