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Le plus dur dans la conduite d'un train est la maîtrise du freinage et donc de la vitesse. C'est qu'il y en a des tonnes qui poussent derrière. Lors des premiers jours terrain, un moniteur apprendra donc au stagiaire à "sentir" un train; il lui apprendra à "écouter" quand le train répond; il lui montrera quand le train "obéit" et qu'ainsi le conducteur reste le chef, non le train qui a tendance à n'en faire qu'à sa tête.
Les premiers jours terrain, je laisse les stagiaires faire quelques bêtises, dans les limites du raisonnable. C'est ainsi que le métier rentre et il vaut mieux que les erreurs se fassent sous contrôle, commentées et riches d'enseignement.
Ce jour-là était un des premiers jours. Le stagiaire enthousiaste maîtrisait correctement le matériel mais n'avait pas encore l'attention suffisante pour pallier de lui-même à une petite sur-vitesse qui à-priori lui paraissait sans conséquence. Dès le milieu du quai, je sus que l'arrêt allait se faire en catastrophe mais sans conséquences ennuyeuses. Je n'intervins donc pas en guidant sa main sur le manipulateur. Et arriva ce qui devait arriver : vingt centimètres de la première porte sous tunnel.
Notre premier réflexe est d'aller à la porte de la loge, pour prévenir les personnes qui descendent de faire attention, affronter les regards furibonds, sourire aux regards goguenards et présenter des excuses.
Ce jour-là était un jour sourire.
Le monsieur qui descend est un monsieur de belle apparence, la crinière folle blanchie par l'âge et le teint d'un bon vivant. A la façon d'un groom d'ascenseur qui annonçait les étages, il lance à la cantonade : "restrictions budgétaires! La RATP raccourcit les quais!"
Quand les voyageurs ont de l'humour (et ils en ont), notre métier devient un plaisir.