Le jour où son mari revint du pays affublé d’une jeune épouse, le ciel gronda sur la tête de Founé, et la terre trembla sous ses pieds.
Founé est cette femme qu’aucune commerçante n’a réussi à faire prendre à crédit des boubous et autres bijoux comme il est d’usage. Même en lui proposant des délais de paiement des plus étalés. Ce comportement est d’autant plus exceptionnel qu’elle le fait pour éviter des charges supplémentaires à son mari. Situation qu’elle ne cessait de déplorer en ces termes : « C’est dur, c’est dur ! Payer loyer, payer gaz, électricité, nourriture, habits et encore envoyer argent au pays. »
A partir de ce moment, Founé, au lieu de se mettre dans la position d’une femme offensée et humiliée qui chercherait coûte que coûte à récupérer son époux, se départit des convenances et des règles coutumières qui l’emmenaient à faire de son mari le point central de sa vie.
Ainsi, libérée des pesanteurs et déliée de toutes entraves sociales, Founé se mit à adopter des maquillages excentriques, à se vêtir d’habits très colorés et scintillants.
Si par hasard quelqu’un l’interrogeait sur son accoutrement, elle répondait, le sourire aux lèvres, que puisque son mari a pris comme épouse une marmazelle, elle aussi, elle se fait marmazelle.
Désormais Founé est amoureuse de Founé.
Et Founé se métamorphosa.
Elle s’imposa et imposa dans le foyer conjugal ses propres lois. A la moindre incartade, Founé n’hésitait pas à empoigner, voire gifler son mari, et à rappeler à la jeune épouse son mariage singulier avec ce « vieux « ! Ce qui obligeait le couple à beaucoup de retenue en sa présence pour éviter une réflexion désobligeante.
Dans la foulée, Founé n’hésitait même plus à dire à Ami, sa fille tout juste-mère : « A quoi bon d’être belle et diplômée, si c’est pour se retrouver seule avec un enfant dont le père a pris la route depuis longtemps. En tout cas, moi Founé, je ne serai la pouponnière de personne ! »
C’est ainsi que tout le monde décida que Founé n’avait plus sa tête.
Quand on apercevait Founé déambulant dans cette nouvelle allure, on ne pouvait pas s’empêcher de penser à ces femmes des tribus de Grands Lacs, qui suscitent encore l’intérêt des anthropologues. On eut dit qu’il y a eu une brutale mutation qui faisait qu’elle était retournée à l’état primitif. Founé ne serait-elle pas dans ce cas ?
Si Ami a conservé intacte l’affection de son père tenu en étau entre l’amour érodé de Founé, et celui chaque fois monnayée de sa jeune épouse, il n’en est pas de même pour Fanta, sa copine, orpheline de mère.
Quand Ami et Fanta s’interrogeaient ironiquement sur leur père respectif en disant: « Mais qu’est-ce qu’ils ont donc les papas avec leur deuxième ? », elles ne pensaient pas parvenir à cet amer constat de Fanta: « Je ne ferai jamais d’enfants, car j’ai peur de les laisser à une marâtre et un père qui n’aura plus le courage de les aimer.»
Si Fanta en arrive à cette terrible décision, c’est parce qu’elle a remarqué que depuis l’arrivée de celle qui a pris la place de sa mère, son père n’ose pas lui manifester ouvertement son affection devant cette dernière. Il arrive même qu’il se cache pour lui offrir un cadeau.
A voir des enfants privés de l’amour paternel, à voir des enfants dépossédés de leurs droits détournés à d’autres fins, à voir une mère presque perdre la raison, font qu’il y avait comme une touchante violence chez ces pères, qui en dépit de ces chaos, sont encore réduits à mendier la tendresse de leur jeune épouse.
Poussée par la force de l'esprit de sa défunte maman, Fanta parcourait rues, ponts et caves à la recherche de son frère jumeau, banni par le reste de la famille.
Et Ami, grâce au précieux appui d’une assistante sociale, s'opposa fermement au rapatriement programmé de sa mère; sort habituellement réservé aux femmes en dépression pour les envoyer se soigner par des soi-disant guérisseurs traditionnels. Ami redoutait pour ses frères et soeurs le destin des enfants qui risquaient de ne plus revoir leur mère.
C’est comme si, intimement soudées par leur vécu, ces deux amies puisaient dans leur chagrin et leur souffrance, une extraordinaire énergie qui leur conféraient une maturité précoce et un sens aigu des responsabilités.
Quand Founé et le frère de Fanta prirent l’avion à destination de l’Afrique, Ami et Fanta étaient aussi du voyage.
Au retour de ce séjour, la brave Fanta s’effondra en larmes comme jamais auparavant. Les dernières paroles prononcées à l’aéroport par son jumeau qui avait choisi, lui, de rester au pays, résonnaient encore dans les oreilles de Fanta. Quand avec son accent propre à certains alentours de Paris, le frère, comme pour rassurer sa soeur avait dit: « T’inquiète, Fanta, je ne boirai désormais plus que le JUS ROUGE D’AFRIQUE. »
Aujourd’hui encore, si Founé continue d’errer de temps en temps, quand on la voit portant sur le dos, le petit garçon de Ami, on peut être certain que le remède à l'enfer familial réside dans l’affection des nôtres.
Doyen et Safi