Quel Capital Risque à la Française après la crise ?

Publié le 07 mai 2009 par Igrec

Dans sa dernière étude l’Afic (Association Française des Investisseurs en Capital) souligne la bonne santé pour 2008 du Private Equity en France. Selon l’Afic, les montants levés ont progressé en 2008 de 27,4 % pour atteindre 12,7 milliards. En terme d’investissements l’Afic souligne la bonne santé du capital risque français qui avec un montant levé de 750 M € et prés de 430 entreprises financées enregistre un record historique exclusion faîte de l’année 2000. Ces chiffres appellent un premier commentaire : on remarque que la part du capital risque dans le Private Equity en France est d’un peu moins de 6 %. Ce n’est pas un chiffre inférieur ou supérieur à ce que l’on peut observer aux Etats-Unis ou en Europe en revanche au regard des montants totaux levés aux Etats-Unis (287,5 Mds de dollars) et en Europe (65,3 Mds d’euros) le montant disponible pour le financement de l’innovation est assez faible. En conséquence le nombre de projets financés est assez réduit et les investissements se concentrent sur quelques projets où les investisseurs espèrent un TRI (Taux de Retour sur Investissement) très important. Cela semble d’autant plus naturel que les investisseurs savent que le TRI du Capital Risque dans son ensemble sur une longue période est faible et même parfois négatif. Mais il existe d’autres raisons à la faiblesse structurelle du capital risque en France. Certains estiment qu’il y a un problème quantitatif : il n’y a pas assez d’entreprises de technologie à très fort potentiel en France (à l’exception de quelques niches spécifiques) ni peut être même en Europe, ce qui ne permet pas d’investir de façon rentable dans ces secteurs. D’autres soulignent les aspects qualitatifs : les start-up européennes ne disposent pas de suffisamment de technologies propriétaires pour se mesurer durablement aux start-up américaines. C’est peut être une partie de l’explication, mais plutôt que la technologie, on peut surtout citer les freins au développement commercial des sociétés au niveau européen, qui empêchent le développement rapide des sociétés en raison de marchés trop fragmentés : normes différentes, langues différentes, obstacles nationaux, problèmes de réseau de distribution…La concurrence des pays émergents est aussi une autre explication de la faiblesse structurelle du capital risque français. Il semble que la concurrence des deux principaux futurs marchés mondiaux, la Chine et l’Inde, ont conduit de nombreux venture capitalistes américains à se concentrer sur ces marchés, car ils permettaient à la fois un développement beaucoup plus rapide des produits, et des coûts de fabrication ou de développement beaucoup plus bas qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Ce déplacement vers la zone Asie a contribué à rendre le financement des start-ups européennes et françaises encore plus difficile. Même si l’Afic souligne dans son rapport que 5 milliards d’euros ont été levés à l’étranger on peut se poser des questions sur le moyen terme de l’attractivité française et européenne.

Il n’y a pas assez d’investisseurs institutionnels en France

Même si l’Afic souligne le rôle joué par les institutionnels dans les montants levés aux côtés d’investisseurs privés dans le Private Equity (7,7 Milliards levés en 2008), les facteurs structurels liés au sources de financement jouent un rôle essentiel et il n’y a pas assez d’investisseurs institutionnels en France. Contrairement aux Etats-Unis il n’y a de fonds de pension ou de caisses de retraite par capitalisation jusque très récemment. Le système des mutuelles organisé selon un système de répartition après la guerre, conduit à un grand nombre de caisses avec peu de moyens financiers et ne leur permet pas d’investir le créneau du capital risque. Dans le domaine de l’assurance, Axa a consolidé l’essentiel des sociétés nationales, ce qui a conduit à une seule grande source de financement, mais elle est elle-même acteur sur ce marché, et investir peu dans les fonds gérés par des tiers. Pour les observateurs que j’ai pu interroger ce facteur est un handicap à long terme, qui ne se résoudra pas simplement car pour eux on ne peut remplacer un système de capitalisation en peu d’années. D’autre part ils estiment que les institutionnels (français ou européens) qui ont investi sur le marché français se sont massivement tournés vers les fonds de développement (moins risqués), puis de LBO (plus rentables) avec des avantages fiscaux identiques au capital risque (sans les risques). En ce sens, les incitations fiscales créées au début des années 80 pour financer le développement du capital risque en France (et dans tous les pays européens), ont progressivement été détournées de leur véritable objectif, en servant essentiellement à défiscaliser les bonus des gérants de fonds de LBO. Aucune incitation particulière n’a été mise en place pour les investisseurs qui ont continué à financer des fonds d’amorçage ou de venture, et le financement des sociétés innovantes repose désormais sur des mesures fiscales passées (les FCPI) et nouvelles comme celles liées à, l’ISF alors que l’on peut estimer que d’un point de vue politique c’est aussi le rôle des institutionnels. Cette situation à conduit les pouvoirs publics à fortement intervenir. Avec la crise on a donné plus de moyens à Oséo, à la Caisse des Dépôts sans oublier le Fonds Stratégique d’Investissement. On peut s’interroger sur le rôle des pouvoir publics dans le financement objectif des innovations de rupture. Les arbitrages politiques, surtout en période de crise, sont nombreux et viennent obérer les objectifs d’un financement de l’innovation à long terme. Laisser le capital risque aux mains des industriels n’est pas non plus une bonne solution. Les fonds gérés par des leaders industriels ont fleuris ces dernières années, notamment dans le secteur high tech. Mais concernant les investisseurs industriels, ils sont culturellement incapables de gérer un rapport sain avec les start-ups (souvent, il s’agit soit de stratégies d’acquisitions (”spin-ins”) ou même dans certains cas de volonté de tuer des concurrents potentiels dans l’œuf - on parle alors d’incinération technologique). Lorsque les grands groupes industriels investissent, ils sont en outre confrontés à un problème quasiment juridique, car ils sont souvent perçus comme des “poches” profondes qui sont appelés à combler le passif en cas de faillite des jeunes sociétés. Ce problème est particulièrement aigu en France, et la plupart des grands groupes ont préféré financer en interne (sur fonds propres) la R&D sur leur métier de base, plutôt que d’investir dans des jeunes sociétés à travers des fonds d’investissement. Toutefois il y a des contre exemples : EDF est le principal exemple d’un groupe qui a maintenu un programme de venture capital de façon régulière pendant les trente dernières années. Enfin les solutions pour le capital risque ne passent pas forcément non plus par une plus forte montée en puissance du Family Office. Contrairement à ce que l’on pourrait penser les grandes familles sont moins nombreuses en France que dans le reste de l’Europe, pour des raisons essentiellement historiques (héritage égalitaire dans le Code Napoléon, qui a conduit à un morcellement des patrimoines à chaque génération). La fiscalité joue un rôle également, mais certainement moins important. De nombreuses familles se sont délocalisées fiscalement dans d’autres pays, ce qui a conduit à créer des sociétés d’investissement à l’extérieur du pays. Ces familles ont par ailleurs assez peu d’affinités avec le monde de la technologie, et ont perdu de l’argent dans ces secteurs, ce qui les a conduit à se tourner (comme les institutionnels) vers les investissement en développement et en LBO.

Alors que se profile une année beaucoup plus difficile pour les levées de fonds du Private Equity en France du fait de la crise financière mondiale certains observateurs estiment que le capital risque français va souffrir énormément. Cela n’aurait pas beaucoup d’importance si on ne considérait par le capital risque comme un élément moteur au financement de l’innovation et à l’ouverture de nouveaux marchés pour l’industrie française. Pour certains cette relation n’est pas évidente – on peut faire aussi du capital risque ailleurs dans le monde avec des fonds français - mais ce qui est sur c’est qu’une grande partie de l’industrie technologique américaine est née grâce au capital risque américain. Si on considère que les technologies de la connaissance restent un des moteurs de la croissance mondiale il va falloir se pencher rapidement sur l’avenir du capital risque français et ne pas attendre la fin de crise financière.

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