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Signes

Publié le 07 mai 2009 par Menear
Les lycanthropes ont foré loin dans la profondeur des tunnels. Progressivement, les Halles se dégorgent au rythme des pioches et gravats malaxés. Les macro-trafiquants ne sont pas revenus. Les débris friables ne les intéressent pas ; les boyaux et artères souterrains sont victimes d'occlusion dans la masse. La mixture extraite remontée par brouettes entières a été déversée dans les allées condamnées des souterrains. Certaines piles ont été mises à l'écart, érigées puantes à ciel ouvert, derrière le chaos des jardins, à la surface. Autour, les buis repoussent, les racines prennent, sous l'asphalte, et percent les allées pavées périphériques.
Dans les couloirs on vient à manquer de piles AA, les torches électriques vacillent quand il en reste. Le noir des parois humides prend le pas sur les éclats fugaces qui subsistent aux carrefours du dédale.
Les lycanthropes organisent les percées souterraines depuis leur quartier général rebaptisé place des trocs. Ils sous-traitent l'exploration et le dégagement des couloirs aux pauvres qu'ils ramassent par troupe de dix ou quinze. Ce sont les mendiants des quartiers alentour qui ne mendient plus rien : de nos jours, la crise faisant, on ne donne plus, quand on donne, qu'aux mutilés spectaculaires, ceux dont les muscles ont déjà trop fondu pour qu'ils puissent encore avancer, debout, sur leurs deux jambes.
Au détour d'un carrefour de suie, entre anciens escaliers et anciens portiques déboulonnés, le corps d'une fille, taille haute. D'autres corps rassemblés autour d'elle l'écoutent, elle agite ses mains et bras, elle forme mots et sons sans les souffler, les autres répètent laborieux les gestes encore pâteux entre leurs doigts : la langue des signes, garantie sans souffle et sans parole, n'altère en rien le corps des autres ni ne propage quoi que ce soit. Elle décompose lentement ses paroles et syllabes, elle reprend patiemment les mouvements l'un après l'autre. Ils la boivent de leurs regards mêlés, elle qui communique, communique vraiment, sans prendre le risque d'en crever. Ses vêtements à elle ne sont pas crasseux ni loque-mitées, ce sont des cours qu'elle donne à la volée, bien sûr, clandestinement dispensés sur des heures de pauses trop officieuses : ces cours là, pourtant, elle les factures au mot près. La phrase du jour, articulée pouce et phalange après l'autre : l'odeur du persil plus encore que le goût tout simplement me révulse. Derrière elle, derrière eux, réunis en amphithéâtre-poussière, éclairé à la bougie, déambulent les premières milices aux brassards écharpés. Leurs fusils boulonnés sous le coude ils traversent, s'échangent des gestes de deux doigts pour s'orienter dans le noir, ne pas se perdre de vue. Puis ils s'enfoncent, le cuir de leurs bottes raclé contre la poussière volée, fantômes silencieux et treillis délavé dans les tambours du dedans.

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