Les livraisons d’A380 vont encore ętre ralenties.
Le Ťmega transportť, comme disent les Américains, n’en finit pas de poser problčme. A un point tel qu’on s’y perd : les difficultés d’entrée en production de l’A380 ne sont-elles toujours pas résolues ? Ou les compagnies clientes sont-elles de moins en moins pressées de mettre en service un avion trop grand pour la conjoncture défavorable qui prévaut depuis quelques mois ? Il est actuellement impossible de s’y retrouver, de séparer le bon grain de l’ivraie.
En quatre mois, c’est-ŕ-dire depuis le 1er janvier, Airbus n’a livré qu’un seul A380. Et voici que l’avionneur européen publie un communiqué laconique pour annoncer que 14 exemplaires seulement seront livrés cette année Ťen raison de la crise économique et aéronautique actuelle et ŕ la suite de demandes spécifiques de report de clientsť. Et d’ajouter pudiquement que des mesures (non précisées) seront prises pour atténuer les effets négatifs du nouveau calendrier sur la trésorerie de la société. Tout cela n’est pas bon.
Cette année, dans le cadre de la premičre remise en ordre de la production établie ŕ la mi-2006, Airbus avait tout d’abord prévu de livrer 21 A380, objectif ensuite ramené ŕ 18 et, enfin, ŕ 14 seulement. L’année prochaine, les livraisons devraient ętre portées Ťŕ plus de 20ť.
Le moins que l’on puisse dire est que l’imposant A380 se fait désirer. Avion techniquement réussi, comme l’a éloquemment prouvé un programme d’essais en vol mené ŕ bien sans heurts, il n’en finit pas de soigner ses problčmes d’industrialisation. Ces derniers devaient ętre totalement résolus et oubliés au-delŕ du vingt-sixičme exemplaire de série, aprčs refonte des méthodes. Aujourd’hui, on en arrive ŕ se demander si c’est vraiment le cas.
Actuellement, la cadence de fabrication, trčs en retrait par rapport ŕ des prévisions plusieurs fois revues ŕ la baisse, n’en est plus vraiment une. Sans quoi, en quatre mois, cinq exemplaires au moins auraient été livrés. Et non pas un seul.
Que les compagnies soient en situation financičre fragile ne fait aucun doute mais, ŕ moins que leurs caisses ne soient tout ŕ fait vides, elles ont intéręt ŕ mettre en œuvre un long-courrier dont les coűts directs d’exploitation sont inférieurs de 15 ŕ 17% ŕ ceux des appareils précédents.
Au plan financier, ce chemin de croix industriel ne peut ętre que trčs coűteux, ne serait-ce qu’en raison du montant des en-cours de fabrication, forcément ŕ la mesure des dimensions de l’avion, dont le prix unitaire est de 325 millions de dollars environ. C’est évidemment un sujet tabou, EADS n’ayant aucun intéręt ŕ attirer l’attention sur ce problčme encombrant.
A l’origine, le seuil de rentabilité de l’A380 était estimé ŕ 250 exemplaires, repčre qui témoignait d’un grand optimisme. Un chiffre peut-ętre irréaliste. Puis vinrent les premičres difficultés de production, l’affaire peu glorieuse des câblages et, enfin, pire que tout, la dénonciation par Christian Streiff, éphémčre patron d’Airbus, de hiérarchies parallčles aux effets paralysants. Airbus se prétendait une entreprise multinationale parfaitement intégrée et, soudain, elle apparaissait comme une addition de nationalismes industriels traversés par d’incommensurables ego.
A ce moment, le seuil de rentabilité de l’A380 a filé au-delŕ de l’horizon, apparemment vers 500 exemplaires, sinon davantage. Depuis lors, un silence Ťprudentť est de mise sans que quiconque s’interroge ŕ voix haute sur le retour sur investissement qui peut encore ętre espéré.
Cette situation confčre une responsabilité considérable aux auteurs des études de marché menées ŕ bien ŕ l’époque du projet A3XX, avant męme la décision d’en faire l’A380. Si elles étaient sérieuses, réalistes, crédibles, le Ťmega transportť a tout l’avenir devant lui. Aprčs tout, le Boeing 747 est en production depuis 40 ans et n’a toujours pas dit son dernier mot.
En revanche, s’il devait apparaître que l’A380 a été lancé sur des bases subjectives, comme un défi et non pas une opération industrielle bien carrée, solide, irréfutable, l’affaire risquerait de tourner au désastre financier. Bien sűr, Airbus et sa maison-mčre EADS n’en sont pas lŕ. Reste l’impression franchement désagréable d’une dangereuse dérive dont plus personne ne sait, semble-t-il, oů et quand elle s’arrętera.
Pierre Sparaco - AeroMorning