« Ici, je vis un cauchemar. Je suis tombé dans une communauté du genre des Amish. Oui, ces sectes qui ont arrêté le temps et vivent comme au XVIIIe siècle. Ces fous se sont enfuis de Königsberg où les bombes tombaient du ciel et ont décidé de vivre à la manière de Kant. Oui, Immanuel Kant, l'austère philosophe allemand...
Quand je dis vivre "à la manière de", c'est vivre exactement comme lui. Oui, tu as bien lu : ils ont arrêté le temps en 1771 ! On se déplace en calèche. Exit les transistors, le téléphone, l'eau chaude, les voitures, les cigarettes, le jazz, l'électricité... Et même - excuse ce détail trivial - les toilettes et les bidets !
Il y a une statue de Kant au centre de la communauté. Chaque fois que je passe devant elle, j'ai l'impression qu'il m'épie.
Et puis tu verrais comment on est habillé... Je porte, comme tous les hommes ici, la tenue de Kant : bas, pantalon, chemise à jabot, veste et perruque !
Quant aux femmes, elles ressemblent toutes à des servantes avec leur grande robe couleur taupe, une bagnolette plaquée sur les cheveux. Et pas une once de fond de teint, de rouge à lèvres ou de khôl. Pas vraiment sexy ! Bref, le cauchemar. »
Vous avez peut-être eu le coeur gros en lisant La petite cloche au son grêle, vous allez sourire et rire en lisant cette aventure philosophico-burlesque, avec dans les rôles de Pangloss et Candide, Botul, le philosophe français, et Sébastien, un jeune zazou des beaux quartiers de la rive gauche. « Pourquoi pas le Paraguay ? » lui a glissé le philosophe, le garçon a dit banco et tous deux ont traversé les océans pour s'installer à Nueva Königsberg, une communauté d'exilés qui revit à l'identique les préceptes de Kant. Un détail risque de mettre en péril cette douce utopie : le sexe. Faut-il ou non le pratiquer, si l'on considère la chasteté légendaire de Kant ? En suivant cette logique, l'avenir de la communauté est vouée à s'éteindre.
En huit causeries, Botul va donc amener les disciples à réfléchir sur les contributions et motions sexuelles ; parallèlement, Sébastien, en plein supplice existentiel, vit une passion nouvelle et naissante avec une maîtresse d'école, portant collerette, fichu et tablier, le verbe en bouche, les idées sûres et arrêtées.
C'est très drôle, et même si je fais allusion à Candide, le texte de Paul Vacca reste beaucoup plus digeste (j'ai détesté Candide !), le contenu philosophique de cette intrigue se boit comme du petit lait, pas besoin de se creuser les méninges. Le comique de situation n'est jamais lourdingue, c'est fin, spirituel, enlevé, cocasse.
J'ai beaucoup aimé !
Philippe Rey, 2009 - 215 pages - 17€
A déjà été lu par Lily, Keisha et Cathulu ... & Amanda