Madrid à l’ère des signes

Publié le 06 mai 2009 par Memoiredeurope @echternach

En poursuivant ma quête d’une image de Madrid qui soit en concordance et en résonance avec celle de mes séjours précédents, j’ai pratiqué la marche. Les boutiques n’ont qu’un temps, même si j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir en moins d’une heure un petit panorama DVD de la filmographie espagnole récente et, en plus d’une heure, la mode telle qu’elle se présente. Une mode en décalage, dans une sorte de shopping comme je l’avais vu faire à tant de stylistes il y a bientôt vingt ans, quand elles (parfois ils) cherchaient le léger écart des vitrines et de la rue qui pourrait aspirer une nouvelle tendance, soi disant spontanée.

A vrai dire, il y avait à Chueca cette race de visiteuses venues de New York, de Berlin ou de Paris. Je les reconnaîtrais entre mille. Elles n’ont pas vraiment changé. Un peu plus cheaps peut-être. Juste pour signaler au passage que pour être in aujourd’hui, il faut afficher des signes extérieurs de pauvreté. Pour la forme… Pas le cheap décousu, délavé, troué et sophistiqué de Rei Kawakubo des 80’s, ni le sac Tati Louis Vuitton, non, mais le vrai sac plastique, la veste vraiment usée, celles des puces, mais des vraies puces de quartier, là où les nouveaux pauvres s’habillent aujourd’hui.

Qu’on se reporte à une des photographies que j’ai publiées dans un des posts précédents, la femme couverte de dollars succombe en fait sous des billets frappés de la sentence infamante : Black Tuesday – Negro Martes. 

Bref.

L’Empire des signes et son rapport subtil à l’Orient s’est un peu écorné depuis que l’on a publié les carnets de voyage de Roland Barthes en Chine, et les souvenirs de la vie, tumultueuse et conformiste à la fois, qu’il a menée avec sa maman. Mais les troubles de la vie intime – l’attirance pour les beaux éphèbes à la peau jaune et pour les jupes d’une mère - ne valent pour rien si on reprend une seule de ces phrases qui nous ont longtemps guidées : « L’Orient et l’Occident ne peuvent donc être pris ici comme des « réalités », que l’on essaierait d’approcher et d’opposer historiquement, philosophiquement, culturellement, politiquement. Je ne regarde pas amoureusement vers une essence orientale, l’Orient m’est indifférent, il me fournit seulement une réserve de traits dont la mise en batterie, le jeu inventé, me permettent de « flatter » l’idée d’un système symbolique inouï, entièrement dépris du nôtre. »

Reste à savoir si cet écart, mesuré il y a quarante ans, garderait à l’examen aujourd’hui non pas son « écartèlement d’identité », si je puis me permettre ce néologisme, mais sa pertinence en ce qui concerne les rapports sociaux opposés dans leur nature, quand le Japon subit pour deux fois une crise de conscience sur fond de crise économique et bancaire.

Notre Europe, je dis bien la notre, celle dont je me sens autant héritier que géniteur, vit aujourd’hui dans sa recherche d’unité, l’effet troublant de ses diversités. Une schizophrénie, en quelque sorte.  

Paris – Madrid, au-delà des rumeurs de mépris d’un Président envers un chef d’Etat qui montaient quand je me trouvais dans la capitale espagnole, et dont le côté rivalité entre mecs a déjà été remplacé par d’autres rumeursde rivalités entre nanas, dont l’élégance concurrente a fait bruisser les gazettes. 

Paris – Madrid, c’est le jour et la nuit, et pas seulement pour ce qui concerne les rythmes de vie, amour de la lumière et de la mise en scène d’un côté, amour de l’ombre propice et de la proximité des corps et de la parole en désordre, de l’autre.

Madrid à l’ère des signes, c’est la prolongation actuelle et actualisée des céramiques présentes sur la façade des bars, avec leurs motifs traditionels issus de la campagne. Prolongation dans la réalité des pseudos graffitis inventés pour vanter les marrons chauds, dans l’extraordinaire écriture en camaïeu du mur végétal de Patrick Blanc près de la Caixa, ou dans l’art involontaire d’un nouveau Don Quichotte qui, sur sa rossinante, moto un peu en rade, a accumulé les slogans et les figurines, comme une sorte d’exacerbation des phrases toutes faites dont la communication politique est devenue le symbole quand le fait quotidien remplace l’analyse.

Une folie à vrai dire, digne de celle magnifiée par Cervantès.Et comme si l’Institut du même nom voulait en rajouter, l’Empire des signes devient l’Empire des lettres sur sa façade : “Diamantes, amantes, antes, Regente, gente, ente”…

Un univers « dépris » de celui où je vis, pourtant dans la même Europe. Un univers sans le « Mépris », devient un univers épris.