L’idée de la commissaire de l’expo, Nanette Jacomijn Snoep, est de présenter une « grammaire visuelle » des fétiches, ces objets réceptacles des esprits des ancêtres, investis de leur puissance « magique ». En fonction de l’effet désiré (protection, vengeance etc.) ils adoptent des formes différentes : statuettes percées de clous, enserrées dans un réseau de cordes ou simples sacs. Dans tous les cas il s’agit d’objets vivants, dont l’aspect est modifié par les rituels successifs.
Mais surtout l’expo montre que ce caractère informe des fétiches, causé par leur usage répété, se double dans certains cas d’une indétermination voulue, qui reflète la présence en leur sein des esprits de l’au-delà.
Ainsi les boliw du Mali, utilisés par des sociétés initiatiques Bwa, sont faits d’un amalgame de matières, terre, projections de cendres, de bière de mil, écorce, placenta…Des restes de corps d’ancêtres se trouvent au cœur de cette recette farouche et secrète qui permet d’obtenir une « chose-dieu »*, en deçà et au-delà de l’objet. Cette forme indéfinissable, inqualifiable, n’a pas d’équivalent en Occident (nos reliquaires sont orfévrés, émaillés, bref « propres » et emploient des matériaux nobles). Le boli présenté dans l’exposition est une masse sombre et craquelée, rugueuse par endroits, lisse à d’autres, semblant se dresser sur quatre petits pieds de bois liés entre eux comme les pattes d’un animal capturé par un chasseur.
La muséographie joue sur cette idée en isolant le boli dans une petite salle sombre comme une grotte, au milieu de laquelle il brille étrangement sous les éclairages : quelques reflets jaunes, d’autres légèrement bleutés. Une toute petite fille entre, suivie de sa mère : « Maman, c’est quoi ce machin ? – Je ne sais pas, je vais voir. » Et la mère d’énumérer les matériaux listés sur le cartel, faute de trouver un nom satisfaisant…
Car le boli ce n’est même pas un objet…c’est un machin, une chose indéfinissable. Comme ces figures de la société Egungun des Yoruba (Nigéria), enveloppées de tissu de la tête aux pieds pour cacher les danseurs qui miment les revenants (egungun). Que dire de cette surprenante carte postale montrant trois danseurs egun, rendus semblables aux ancêtres par leurs costumes, assis contre un mur au soleil, pour se reposer ? Cette photo en dit long sur l’interpénétration des mondes visible et invisible en Afrique, sur la dimension épiphanique de ses rituels.
statuette de divination,"nkisi kula", population Kongo (Congo)
Ces objets se situent entre la matière pure, par les libations continuelles qui les rendent informes ou l’absence d’une structure qui guide le tissu, et l’absolue transcendance, favorisée par l’absence de forme prédéfinie : ces objets sans forme ne représentent ni ne symbolisent les esprits, ils le contiennent, comme le reliquaire contient la relique, ils en sont le véhicule.
D’autres objets rendent plus perceptibles la dimension du rituel : les fétiches à clous, ceux qui sont trop puissants pour être touchés et que l’on promène avec une chaînette, les cornes et sacs de divination pleins de substances magiques, issues des règnes végétal, animal et minéral.
Enfin, pour les enfants, possibilité de confectionner son propre fétiche. A toutes fins utiles…
*J. Bazin, Des clous dans la Joconde. L’anthropologie autrement, Toulouse, Anarcharsis Editions, 2008.
Toutes les photo : musée du quai Branly