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Jour de la Terre

Publié le 22 avril 2009 par Alorangeane

Apparemment aujourd'hui, c'est le jour de la Terre, en tout cas au Québec. En cette merveilleuse journée, je vous joins un texte de Fred Vargas, qui nous fait part de ses vues sur la question de l'environnement... Très, très beau texte, et surtout impressionnant de réalisme.
Il est temps de se remuer et d'éduquer nos enfants (les adultes, c'est peut-être déjà trop tard) à ne pas gâcher notre si belle planète.

"Nous y sommes" de Fred VARGAS
Nous y sommes.
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans
que cette tourmente menace dans les hautsfourneaux
de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme
sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que
lorsqu'elle lui fait mal.
Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos
qualités d'insouciance.
Nous avons chanté, dansé.
Quand je dis « nous », entendons un quart de
l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté
nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous
avons conduit trois voitures, nous avons vidé les
mines, nous avons mangé des fraises du bout monde,
nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé
les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent
quand on marche, nous avons grossi, nous avons
mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones,
franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très
difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des
bestioles génétiquement modifiées sous la terre,
déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces
vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets
radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est
plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis
lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la
Révolution néolithique et la Révolution industrielle,
pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie. "On est
obligés de la faire, la Troisième Révolution ?"
demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne
nous a pas demandé notre avis.
C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir
aimablement laissés jouer avec elle depuis des
décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous
ferme les robinets.
De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :Sauvezmoi,
ou
crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des
araignées qui nous survivront, car très résistantes, et
d'ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvezmoi,
ou crevez avec moi.
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a
pas le choix,
On s'exécute illico et, même, si on a le temps, on
s'excuse, affolés et honteux.
D'aucun, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai,
de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre,
abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les
ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix,
contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez
soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en
laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le
charbon là où il est, attention, ne nous laissons pas
tenter, laissons ce charbon tranquille, récupérer le
crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on
n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est
quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en
désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième
Révolution.
Pas d'échappatoire, allonsy.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et
tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité
foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est
pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous
contenions le retour de la barbarie une autre des
grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut
être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais
nous danserons encore.
Fred Vargas
Archéologue et écrivain

Bonne journée de la Terre

Protégeons-là...


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