L'Hérétique, au travers d'un article déjà pas mal commenté, a lancé à quelques bloggers, dont ceux des Kiwis, un défi dont le but, apparemment, serait de proposer leur propre analyse du papier initial de The Economist, portant sur le degré de démocratie et l'évolution de ce degré dans les principaux états de la planète.
Dans son billet, notre Hérétique se contente d'un rapide passage en revue des différents scores notables, en s'attardant un peu sur le score - prévisiblement médiocre et médiocrement prévisible - de la France avant de botter en touche (et il l'avoue) par le truchement habile d'un défi lancé à la cantonade. Nous voilà donc devant son texte et celui de l'hebdomadaire économique...
A partir de là, on peut éventuellement disséquer le document initial de The Economist pour bien comprendre la méthodologie employée pour arriver à ces résultats palpitants, ou, alternativement, tripoter le concept de démocratie pour bien comprendre ce qui peut amener la France à une place aussi moyenne dans les "démocraties parfaites" selon la traduction de l'Hérétique. Pour ma part et à ce court sujet, j'emploierai la notion de "démocratie complète", comme la délicieuse galette dont on aura la présence d'esprit de ne pas trop faire cuire l'œuf sinon ça crame par le dessous et ce n'est pas bon.
D'ailleurs, avec la démocratie, c'est pareil. Il ne faut pas trop faire l'œuf sinon ça crame et ce n'est plus du tout mangeable. Or, au rythme où vont les choses et notamment en France, on sent bien que c'est justement faire l'œuf qui prédomine et... je m'égare.
Je disais donc qu'il semblait se dégager deux axes possibles : l'analyse de texte ou la dissertation. D'ailleurs, on en a un exemple avec le croustillant article au vitriol de Toréador dont on devine que The Economist n'est pas la lecture de chevet.
Cette analyse en diptyque serait cependant oublier qu'il est parfois intéressant de sortir des petits chemins déjà tout tracés pour explorer d'autres éléments, laissés sur le bas-côté. Et justement, une petite question peut justement nous conduire dans les opaques fourrés de la pensée alternative : pourquoi établir un tel classement ?
On peut en effet se demander ce qui pousse les journalistes et statisticiens de The Economist Intelligence Unit (nom qui fait un peu penser à une splinter-cell un peu dissidente de l'hebdomadaire) à vouloir comparer des pays sur les critères choisis, aussi objectifs soient-ils. D'ailleurs, cette simple question du "pourquoi" n'est même pas abordée dans le document en question. Peut-être estiment-ils que c'est une question évidente. En tout cas, ils ne l'abordent pas.
Et là où, par exemple, le Tax Misery Index de Forbes donne, pour peu qu'on cautionne le calcul mené, des informations précieuses pour l'entrepreneur qui veut s'installer à l'étranger, on peine à voir dans l'édifice statistique de l'EIU un intérêt quelconque lorsqu'on se place en tant qu'acteur du système considéré, i.e. électeur ou élu.
En effet, on voit mal le citoyen lambda choisir son lieu d'installation en fonction de l'indice démocratique proposé. Outre l'aspect absurde que cela pourrait avoir pour, mettons, le Cubain ou le Nord-Coréen dont on imagine sans peine qu'il voudrait bien mais qu'on ne lui en laissera pas le choix, le ressenti démocratique est rarement l'élément principal de choix pour l'installation ou les migrations.
Il y a certes toujours eu des migrations humaines liées aux oppressions, mais force est de constater que ce sont bien avant tout les facteurs économiques qui favorisent ou exacerbent celles-ci. On pourra ainsi noter que Hong-Kong (rang 84) n'a pas trop de mal à attirer les touristes, les hommes d'affaires et les expatriés en provenance de pays (France, rang 24) qui ont pourtant un indice démocratique stratosphérique à côté de celui de l'Asia's World City.
Côté élu, c'est la même constatation : la faiblesse de l'indice démocratique de la Corée du Nord doit, à mon avis, laisser Kim-Jong Il totalement froid[1], et les scores relatifs des pays les plus démocratiques doivent laisser nos dirigeants de marbre : étant donné que la démocratie, par construction, permet à un petit nombre de dirigeants de profiter d'un grand nombre de contribuables, on les voit mal se remettre en question pour quelques dixièmes de points. Pour être clair, Sarkozy, Zapatero ou même Reinfeldt (le Suédois) n'ont probablement pas grand-chose à foutre du niveau de démocratie dans leur pays, et ce d'autant plus qu'une fois élus, ils sont rarement les plus motivés pour tout chambouler. C'est, d'ailleurs, une grande constante des démocraties : le changement de structure est (très) lent ou procède par à-coups. A l'opposé, les rapports qui établissent des classements de corruption, de fiscalité ou les rangs économiques des pays sont scrutés avec beaucoup plus d'attention par ces mêmes personnes, qu'elles soient en haut ou en bas du tableau. Puisque leurs recettes, leur ré-éligibilité et le calme d'un pays dépendent directement de ces éléments, on les comprend...
Vous l'avez voulu, vous l'aurez.
Eh oui. On sent un petit parfum d'évidence dans ce classement: on trouve que le bloc du haut est démocratique, et on y trouve toujours les mêmes élèves. Le bloc du bas présente les Usual Suspects, et au milieu, ça gigote et se trémousse vers le haut et vers le bas en fonction des intérêts plus ou moins cachés et des ingérences plus ou moins violentes des deux blocs extrêmes dans leurs affaires internes... Tout ceci n'est pas bien percutant.
Bizarrement, et venant d'un bloggueur qui se plait à répéter que ce pays est foutu, il m'est difficile de trouver un intérêt à ce classement même s'il tend à prouver une partie de la réalité que je relate. Effectivement, selon ces calculs, les valeurs démocratiques en France ne sont pas bien haut.
Je dirai : bon, et après ?
Ce qui provoque les changements drastiques dans les sociétés, ce n'est jamais la soif de démocratie : c'est avant tout le besoin d'avoir du pain dans le ventre, c'est d'abord l'envie de liberté pour exercer une activité qui remplira ce ventre. La belle histoire qui consiste à croire que les peuples se révoltent parce qu'ils sont sous un joug totalitaire n'est que ça : une belle histoire. On motive bien mieux les gens à mourir lorsqu'ils n'ont plus rien à perdre que lorsqu'ils ne leur manque guère que le droit de vote. Cette constatation peut bien être triste, elle est maintes fois étayée par les faits et l'Histoire...
Finalement, cet indice démocratique ne nous apprend finalement rien que nous ne sachions déjà : la durée de vie des dictatures montre que le facteur essentiel est d'ordre biologique, et non politique.
Notes
[1] d'autant qu'il est peut-être déjà congelé