Dans le cadre de notre dossier consacré à l’industrie automobile, Délits d’Opinion s’intéresse à l’image des grandes entreprises du secteur. Rencontre avec Joachim Soetard, directeur du Pôle Corporate de Ipsos Public Affairs, au sujet de la perception des Français à l’égard des entreprises du secteur automobile.
Délits d’Opinion : La vague du baromètre de suivi d’image des grandes entreprises françaises montre une chute libre de l’image pour deux entreprises automobiles : Citroën et Peugeot. Comment expliquez-vous cette tendance pour deux entreprises qui historiquement, ont toujours bénéficié d’une image positive ?
Joachim Soetard : Cela peut s’expliquer par l’impact très important de la crise sur ces industries. Les entreprises automobiles jouent historiquement, en France, un rôle social important. Avec la crise, les citoyens s’intéressent aux entreprises en tant qu’employeuses, en tant que garantes d’une tradition sociale. Cette chute peut s’interpréter comme une sanction portée à la réputation de l’entreprise, traduction logique des restructurations du secteur.
La question qui se pose est de savoir si cette chute se répercute dans le mode de consommation. A ce niveau, nous n’avons pas de modèle définitif, mais il est possible d’envisager des conséquences négatives pour ces constructeurs.
Délits d’Opinion : Comment expliquez le décrochage plus tardif de ces deux entreprises par rapport à Renault qui au contraire, voit son image s’améliorer dans cette vague ?
Joachim Soetard : Tout d’abord, Renault avait déjà connu une chute précédente avec l’annonce de suicides de salariés sur leur lieu de travail, événement largement médiatisé à l’époque. Dans un second temps, Renault assumait des choix économiques qui pouvaient paraître, aux yeux de l’opinion publique, en opposition par rapport à l’image historique de cette entreprise. On est passé, en quelques années, de la Régie à Renault-Nissan. Ce type d’évolution n’est pas des plus rassurantes pour l’opinion.
Dans le même temps, PSA était identifié à un autre modèle, plus traditionnel. Vous avez dès lors deux modèles qui cohabitent : l’un privilégie la voie « traditionnelle », familiale et, disons-le, emprunte au paternalisme, l’autre voit l’entreprise opter pour une autre stratégie, plus directe, plus libérale, que d’aucuns peuvent considérer comme plus brutale. On retrouve cette dichotomie dans d’autres secteurs économiques, comme par exemple la Grande Distribution.
Renault a fait le choix de la mondialisation et a délocalisé d’une manière décomplexée. Mais leur stratégie actuelle est intéressante car elle est à contre-courant : ils ont été les premiers à annoncer des délocalisations et annoncent désormais des relocalisations. Le fait de relocaliser des industries et la communication mise en œuvre autour pourraient s’avérer rapidement payante pour Renault en termes d’image.
A l’inverse, Peugeot et Citroën sont à leur tour rattrapés par la crise et doivent en assumer les conséquences politiques. Aujourd’hui, c’est l’ensemble du secteur de l’industrie automobile qui se trouve concerné par le questionnement de l’opinion. Il est évident qu’il y a un enjeu majeur pour elles.
Délits d’Opinion : Pensez-vous que les attentes vis-à-vis de ces entreprises qui après la seconde guerre mondiale avaient une image d’une entreprise sociale, sont peu à peu en train de se modifier ?
Joachim Soetard : La notion importante, je pense, est celle de responsabilité. Le citoyen n’attend plus d’une entreprise qu’elle soit simplement pourvoyeuse de produits du quotidien à un bon prix. Ca, c’était valable avant 2009… Les entreprises qui ne respectent pas les codes de moralité attendus - et je ne parle pas ici, volontairement, de dispositions légales - sont désormais sanctionnées en terme d’image. Très vite, très fort.
Il y a bien sûr une réflexion dans la politique de communication à ce niveau là, propre au type d’activité d’une entreprise : la logique de B to C (Business to consumer : le marché des consommateurs) implique cette nouvelle forme de contrainte qui ne s’applique pas nécessairement aux entreprises B to B (Business to business : le marché des entreprises).
Délits d’Opinion : Quel rôle voyez-vous à terme pour ces entreprises : pensez-vous qu’une fois les restructurations effectuées, celles-ci peuvent retrouver ce statut de modèle ?
Joachim Soetard : Oui, probablement. La crise offre une opportunité de prise de parole sur des sujets qui intéressent la société. Car, au fond, qu’est-ce que la crise de 2009 a changé dans la vie des plus grandes entreprises ? Elles sont aujourd’hui convoquées de manière quasi-quotidienne à la une des journaux. Autrement dit, elles sont désormais intégrées à l’univers d’analyse du citoyen, non plus uniquement en tant que productrices de biens, mais en tant qu’éléments sociaux. Elles subissent aujourd’hui cette pression, mais viendra un moment où elles se verront offrir des opportunités de prise de parole.
On voit qu’il est bien plus facile pour une entreprise de perdre en image et en réputation que de regagner du capital d’image : il existe désormais une exigence de cohérence dans les messages à l’attention du public. On y trouve principalement trois pré-requis sociaux : l’aspect environnemental qui doit être pris en compte dans les modes de consommation et de distribution, la gestion de ses bénéfices - l’entreprise doit désormais être généreuse - et la responsabilité vis-à-vis de l’emploi. Les entreprises qui ne respectent pas ces pré-requis s’exposent.
Si une entreprise gagne de l’argent, elle devient suspecte : en cas de profit intervient nécessairement la question de la redistribution de ses profits.
Propos recueillis par Olivier