En théorie, la démocratie serait un système politique d'élaboration des lois permettant l'expression de chacun sans privilège ni exclusion. Ca en jette, dit comme ça, non ? Mais en pratique, c'est bien plus simple : la démocratie consiste à laisser tout le monde s'exprimer tant que chacun pense la même chose. Et lorsqu'il existe des avis divergents, on fait ce qu'il faut pour les faire taire. Dans le respect de la personne, cela va de soi.
Les derniers rebondissements de l'actualité ne laissent aucun doute : la liberté d'expression, c'est valable pour ceux qui ont Raison, pas les autres. Et ceux qui ont Raison sont facile à repérer : il s'agit de ceux qui font tout ce qu'il faut pour que ceux qui n'ont pas Raison ne puissent s'exprimer.
Ce serait en effet dommage de galvauder l'idée d'une expression libre par des gens qui diraient n'importe quoi, hein. Alors on a décidé qu'une sélection précise des gens libres de s'exprimer sera effectuée régulièrement : chaque démocrate convaincu devra dénoncer à la vindicte populaire ceux qui s'expriment librement alors qu'ils n'en ont pas reçu l'autorisation. De lynchages dénonciations en pogroms délations, la démocratie filtrera ainsi tous les éléments les plus gênants, ceux-là même qui empêchent une saine expression libre des idées de Raison de s'exprimer dans le silence compact de l'assentiment.
Dans une phase ultérieure, on mettra en place un Ministère directement en charge de contrôler qui dit quoi et comment. Mais pour le moment, on va faire appel au contrôle social : c'est beaucoup plus efficace d'utiliser les ficelles du harcèlement et des manœuvres politiciennes, d'utiliser la puissance des médias pour désigner les mauvais joueurs, les mauvais pensants ou les mauvais perdants que d'opérer un contrôle officiel, voyant, coûteux et qui a toujours le mauvais goût de faire passer ceux qui en veulent à cors et à cris pour des adeptes de régimes musclés.
Par exemple, il suffira de modifier en substance le règlement interne du Parlement Européen pour que nos Démocrates de Combat arrivent, sans trop de peine, à clouer le bec à Le Pen. Eh oui. Bien qu'élu et représentant tout de même une certaine frange de la population, tout le monde sait bien que ce personnage n'a pas le droit d'exprimer son opinion puisque celle-ci est très très vilaine. Et comme il existait un risque certain que le parlement dusse se cogner un de ses discours dont il a le secret, de saines mesures d'évitement, tout à fait dans le style d'une attaque préventive, auront permis de ranger cette possibilité au rang des petits accidents putatifs de l'Histoire. Ouf. Nous l'avons échappé belle.
Mieux : ce qui marche pour les antisémites devrait aussi pouvoir marcher pour les antisionistes. Après tout, c'est bonnet blanc et blanc bonnet ... euh je veux dire : c'est bonnet caucasien et caucasien bonnet. Comme les idées nauséabondes ne doivent surtout pas être entendues, la seule évocation par l' "humoriste" Dieudonné de listes officiellement antisionistes a déclenché, on s'en doute, une vague de protestation et de petits relâchement stridents de sphincters compressés à mort. Certains sont d'ailleurs si vite montés dans les tours qu'ils émettent à présent dans les ultra-sons : on ne les entend plus et seuls les chiens aboient tout ce qu'ils peuvent.
Ainsi, et probablement sans même se rendre compte des dégâts qu'il inflige à l'idée démocratique qui n'est plus qu'une vaste hypocrisie depuis quelques années, l'avocat de la LICRA s'agace qu'on ne pourra pas effectivement museler Dieudonné, mais estime "qu'il eût été légitime de sortir Dieudonné du champ politique". A coup de lattes dans la tronche ?
En effet, faire taire un opposant, bâillonner un type qui exprime des idées qu'on ne partage pas, ce n'est pas simple : soit on cogne dans le dur, et là, bien sûr, on ne peut plus faire valoir qu'on est encore un démocrate, soit il faut en revenir aux bonnes vieilles méthodes de coercition douce, apanage typique de la démocratie socialiste à tendance maternelle. Pour cela, rien de tel que la presse qui servira de tremplin à toutes les tribunes possibles et imaginables visant à dénoncer celui qui utilise son droit d'expression sans utiliser la Raison, dont, je vous le rappelle, la quantité est finie et habilement distribuée au compte-goutte parmi les Démocrates.
Mieux que ça : empêcher Dieudo, finalement, c'est peut-être même contre-productif pour la cause des Grands Démocrates qui ont La Raison. Rîîîndez-vous compte, cela peut même en faire ... un martyr.
Le pire dans la censure c'est
Pathétique.
Tout ceci montre à l'envi ce qu'est, effectivement, la liberté d'expression dans la bouche de ces beaux messieurs : du vent. Certes, les idées de Le Pen ne sont pas bien belles. Certes, les discours de Dieudonné rappellent certains autres de sombre mémoire. Mais le pire n'est pas, très loin s'en faut, ces idées et ces discours, non. Le pire se niche dans l'attitude consternante de nos effarouchés, de nos thuriféraires de l'état démocratique gluant qui utilisent les voies démocratiques traditionnelles pour faire taire le premier et ne veulent surtout pas censurer le second au motif purement utilitariste qu'il pourrait devenir une victime médiatisée !
La question de fond, le principe même de la principale liberté, celle de s'exprimer, lui, n'est pas abordé. Si on laisse Dieudo s'exprimer, ce n'est pas parce qu'il en a, tout simplement, le droit fondamental. Que nenni ! C'est parce que tu comprends mon enfant, si on essaie de le faire taire, ce serait en faire un martyr.
En faisant cela, non seulement les Démocrates de Combat donnent de l'eau au moulin de Le Pen qui déclarait que les inconvénients de la censure sont plus graves que ceux de la liberté, mais en plus ils montrent exactement leur vrai visage : pas démocrates pour un sou, ils ne laisseront s'exprimer que ceux qui sont d'accord avec eux ou ceux qui, chanceux, auront trop d'influence médiatique pour être muselés.
Et ce n'est que le début.