Le faux paradoxe des connivences mondaines

Publié le 05 mai 2009 par Lozsoc

Un homme bien fatigué

Jack Lang vient d’annoncer qu’il voterait la loi Hadopi dite « Création et Internet », après avoir approuvé l’année dernière la réforme de la Constitution voulue par Sarkozy et l’UMP.

Cette annonce, à vrai dire, n’est pas surprenante. Opportuniste viscéral, champion de l’absentéisme parlementaire, l’homme a de suite emboîté le pas à certains de ses amis artistes – Juliette Gréco, Maxime Leforestier, Pierre Arditi et Michel Piccoli – qui ont rendu publique une lettre ouverte à Martine Aubry.

Cette connivence mondaine l’a conduit ainsi à affirmer :

« Je voterai oui, en conformité, en fidélité, en harmonie avec mes convictions […] Le paradoxe que nous vivons en ce moment, étrange, bizarre, [c'est que] d’un côté un président libéral propose une loi de protection des droits des auteurs et des artistes, de l’autre, mon parti, le Parti socialiste, ennemi de l’ultralibéralisme économique, ami supposé des créateurs, s’oppose à un tel texte et veut laisser libre cours, si je comprends bien, au piratage et au pillage »

C’est très exactement le même faux paradoxe relevé par le quatuor d’artistes cité plus haut, paradoxe aux termes duquel la droite serait la championne de la régulation et de la protection des artistes, et la gauche le chantre du libéralisme le plus débridé.

Ces artistes ont d’ailleurs l’essentiel de leur carrière derrière eux. Ils ne connaissent plus depuis longtemps les fins de mois difficiles. Il leur suffit en effet de décrocher leur téléphone pour contacter le tout Paris médiatique et obtenir les meilleurs plateaux de télévision pour assurer la promotion de leurs œuvres. Et c’est eux qui osent ensuite faire des procès d’intention au Parti socialiste et, plus largement, à la gauche ! Ils sont décidément de la même étoffe que ce Johnny Halliday qui se plaignait, durant la campagne présidentielle, de devoir s’exiler en Suisse pour payer moins d’impôts (celui-ci n’est d’ailleurs toujours pas revenu en France, malgré le « bouclier fiscal » de son grand ami Sarkozy).

Or, comme le relève fort pertinemment le site Numerama :

« […] la droite et la gauche sont, contrairement à ce que prétend Jack Lang, dans la logique implacable de leur idéologie respective. Les discussions de lundi, auxquelles le député n’a pas assisté, ont une nouvelle fois permis à Christine Albanel de rappeler son attachement aux « licences privées, qui sont tout simplement des contrats », alors que les députés socialistes ont prôné la contribution créative, qui est une licence légale par nature régulée par la loi. »

Flicage sur le net au nom du fric : nous y sommes

La droite est donc pour des contrats qui cadenassent la diffusion publique d’œuvres originales, et en faveur de la judiciarisation tout azimut de l’internet. Dans cette perspective, la droite prône bien la marchandisation à outrance de la culture et souhaite appliquer pour l’Internet ce qu’elle n’est pas parvenue à empêcher pour la radio. On lira notamment avec intérêt cet excellent article sur les « Dix bonnes raisons de dire NON à la loi Hadopi. »

La gauche, elle, défend l’idée d’un mécanisme de rémunération collective des artistes comme c’est le cas pour les radios depuis 1985 (mécanisme défendu à l’époque par Lang). Sans ce mécanisme de rémunération collective, il aurait été impossible aux radios de diffuser « librement » de la musique, sans une négociation préalable et systématique morceau par morceau avec les artistes et leurs ayants droit. La gauche prône donc bien l’accès le plus étendu possible à la culture – musicale, cinématographique, etc. – en veillant à ce que tous les créateurs perçoivent une juste rémunération en contrepartie de leur talent et de leur travail.

En guise de conclusion, nous reproduisons ci-après cet extrait d’un appel d’auteurs de sciences fiction inquiets du contenu liberticide de la loi Hadopi (nous soulignons) :

« Profondément attachés au droit d’auteur, qui représente l’unique ou la principale source de revenus pour nombre des travailleurs intellectuels précaires que nous comptons dans nos rangs, nous nous élevons contre ceux qui le brandissent à tout bout de champ pour justifier des mesures de toute façon techniquement inapplicables, certainement dangereuses, dont le potentiel d’atteinte aux libertés n’est que trop évident aux yeux de ceux qui, comme nous, pratiquent quotidiennement dans le cadre de leur travail l’expérience de pensée scientifique, politique et sociale qui est au cœur de la science-fiction.

[…]

Internet n’est pas le chaos, mais une œuvre collective, où aucun acteur ne peut exiger une position privilégiée, et c’est une aberration de légiférer sur des pratiques nées de la technologie du XXIe siècle en se basant sur des schémas issus du XIXe siècle, songez-y. »