Benoit Sabatier est journaliste. Tendance rock-critic pointu. Il est rédacteur en chef du magazine culturel Technikart. Il faut bien avouer que Benoit Sabatier est un wikipedia humain de la musique, il suffit de lire ses articles ou même son interview ‘Mes Disques à Moi’ dans le Rock&Folk n°475, pour s’en rendre compte. En 2007, il sort un livre intitulé “Nous sommes jeunes, nous sommes fiers , la culture jeune d’Elvis à Myspace,” ou comment est-on passé de ‘plus tard tu seras un homme, mon fils’ à ’sois cool, papa, putain’. C’est un honneur que Benoit Sabatier nous fait, en répondant avec justesse au questionnaire de la Grande Dépression. Et nous l’en remercions.
Le morceau où vous aimez noyer votre chagrin ?
Sur «Third » de Big Star, il y a de quoi faire. « Take Care », « Nature Boy », « Blue Moon », « For You, « Holocaust », Alex Chilton ne prenait manifestement pas des drogues qui rendent hilare. « Sketch for Dawn » de The Durutti Column, sur un album où il rend hommage à un ami décédé, Ian Curtis. Taxi Girl, « Paris », j’aime m’y noyer : le morceau qui m’a arraché à ma province, alors que Paris, c’est juste une grande poubelle, il n’y a même plus de place pour nos déchets à nous, et même si cette poubelle est pleine depuis si longtemps, c’est la ville où je veux en finir, pas à Nancy, ni Limoges, ni Clermont, ni Poitiers, ni Pau, ni Riom, ni Pougues-les-eaux. La chanson «Justice» de Robert Forster, elle me fait penser à la mort, pour des raisons personnelles. «Casey’s Last Ride» de Kris Kristofferson. « How to Find True Love and Hapiness in the Present Day » des Stranglers, jamais écouté une chanson si plombée, avec ces paroles où l’espoir, c’est s’enfoncer. «Promised Land» de Joe Smooth, grosse nostalgie, ma jeunesse fout le camp. Et bien sûr «Valuska» de Mihály Vig.
La dernière fois que vous avez pleuré ?
C’est trop intime comme question.
La déprime est-elle source de création ?
La plupart des produits créés par des artistes joyeux, trop contents d’eux et de leur vie, sont en effet horribles. En tout cas ils me crèvent d’avance. Kanye West n’a jamais été meilleur qu’au moment où il s’est chopé une bonne dépression : c’est quand sa maman est morte pour cause d’opération esthétique ratée qu’il a composé « 808s & Heartbreak », sa copine venait également de prendre la poudre d’escampette : très beau disque dépressif. Quand Lou Reed a perdu deux proches, Doc Pomus et Rotten Rita, il a écrit une chanson bouleversante : « Sword of Damocles ». Les artistes enfermés dans leur studio avec un synthé et leur spleen ont souvent fait des disques sublimes, mélancoliques – Beranek avec « Sound of Danger », Anne Clark, Guyer’s Connection, « Neu ! 4 », « Seventeen Seconds », Bushido, « Old Rottenhat »… Mais créer une corde au cou, le moral au fond des chaussettes, dans un état de dépression total, c’est quand même balaise, dans les faits. Les deux dernières années de sa vie, Tim Hardin ne faisait plus grand chose de terrible. Qu’a composé Phil Ochs dans les années 70 ? Rien. Ils sont morts à sec. Surtout la preuve que l’héroïne est un mauvais remède à la dépression et la créativité ?
Votre artiste dépressif(ve) préféré(e)?
Ça change toutes les semaines, ces deniers temps ça allait de Dondolo (son nouvel album est très mélancolique, dark dans son constat et son propos) à Morrissey (dont les derniers textes m’ont pourtant fait hurler de rire) en passant par des classiques comme « Music for a New Society », « Climate of Hunter », les Television Personalities, Nico, Goldie et mes compilations personnelles de Neil Young, Townes Van Zandt & Leonard Cohen, ou des artistes qui reviennent des oubliettes, The Stockholm Monsters, Johnny Darrell, Epic Soundtracks, Ensemble Pittoresque, Spoonfed Hybrid, Green Velvet, Chrisma, Bill Fay, Algebra Suicide, tous mes artistes préférés sont chaque semaine des artistes mélancoliques.
Un film qui vous file le bourdon à chaque fois ?
N’importe quel Tod Browning, surtout « The Unholy Three ».
La chanson ou l’artiste qui est un phare pour vous en cas de déprime ?Il y a « Bugsy Malone » de Paul Williams, ou Newcleus, ou les Supremes, mais rien ne vaut Divine. Je mets un de ses morceaux et je me dis que la musique et l’humanité, ce n’est pas juste comme l’écrivait New Order, « du pouvoir, de la corruption et des mensonges », du bourgeois, du pédant, du fils de, du confort, du Sofia Coppola, du sympa, du mignon, du chic, du fric. Divine, « I’m so Beautiful », « Born to Be Cheap », un phare.
Une sélection de la sélection de Benoit Sabatier Big Star - Holocaust http://www.lagrandedepression.com/wp-content/uploads/music/BigStarHolocaust.mp3 The Stranglers - How to Find True Love and Hapiness in the Present Day http://www.lagrandedepression.com/wp-content/uploads/music/HowToFindTrueLoveAndHappinessInThe PresentDay.mp3 Víg Mihály - Valuska http://www.lagrandedepression.com/wp-content/uploads/music/valuska.mp3 La Video de I’m So Beautiful de Divine.