Magazine Humeur

Les artistes de gauche ont des valeurs, madame!

Publié le 05 mai 2009 par Innommables

J’avoue que j’ai toujours eu du mal à cataloguer les artistes, politiquement parlant (qualitativement, c’est moins difficile: entre Doc Gynéco et Noir Désir, la couleur politique n’est pas le premier critère de choix, ou alors c’est que l’auditeur est ce qu’on appelle un Infirme Moteur cérébral et que la génétique l’a cruellement privé de l’un de ses hémisphères cérébraux en plus de lui avoir retiré l’ouïe à la naissance).

C’est vrai.

On aurait par exemple bien du mal à définir ce qu’est un artiste "de gauche".

Je dis ça parce qu’en ce qui concerne les artistes "de droite", on a bien compris qu’il s’agissait apparemment, entre deux publicités (grassement rémunérées) pour des lunettes et trois spots radiophoniques vantant les mérites gustatifs du rayon charcuterie du Leclerc de Palavas-les-Flots, de chanter de la variété de troisième zone ou de jouer dans le genre de films qui, dès sa sortie, se retrouve chroniqué sur le blog des films de merde , avant d’atteindre le summum de sa carrière en se réunissant (en toute convivialité) au Fouquet’s pour gaillardement pousser la chansonnette à la gloire du nouveau Président du Pouvoir d’Achat.

Alors qu’un artiste "de gauche", n’est-ce pas?
C’est tout de suite moins évident.

Procédons par élimination, comme le faisait si bien Don Corleone.

Un artiste, selon la définition populaire que nous en donnent régulièrement les médias (qui, je le rappelle, n’ont jamais tort) est forcément quelqu’un qui bénéficie d’une certaine notoriété.
Voilà qui nous déjà permet de mettre de côté, d’office, les quelques dizaines de milliers de gueux anonymes pudiquement baptisés "intermittents du spectacle", qui survivent tant bien que mal dans les milieux du théâtre ou de la musique en produisant des oeuvres que personne ne prendra sans doute jamais le temps d’étudier (vu que leurs auteurs sont, comme je le disais, des anonymes qui n’ont point la chance d’être hautement bankable).

Partant de ce constat, un artiste "de gauche" est donc un chanteur, un acteur ou un peintre (mais là, ça devient moins facile à trouver) déjà célèbre, dont les engagements politiques sont généralement de nature à combler d’aise le gentil bobo du Cinquième arrondissement de Paris.
L’artiste "de gauche" fait souvent partie d’un collectif de people militant pour les plus nobles causes, que ce soit celle des Sans-Papiers (l’affaire de l’église Saint-Bernard a davantage relancé la carrière d’Emmanuelle Béart que toutes ses injections labiales de collagène réunies), celle des enfants Africains (on se souvient de Chanson pour l’Ethiopie, une torture auditive plus agressive encore qu’un solo vocal de Mireille Mathieu) ou encore celle de la lutte contre la fameuse loi dite "Hadopi".

Ah non, merde.
Je suis en train de te raconter des bêtises sans vérifier mes sources, honte à moi.

En fait, l’artiste "de gauche" veut bien être pris en photo en train de distribuer des sacs de riz en compagnie de Bernard Kouchner, il accepte de passer pour un has been pathétique en faisant de la retape pour les Restos du Coeur et de brailler péniblement  "on est les Enfoirés" en prime-time sur la première chaîne de télévision, et il est même capable de mettre sa fierté dans sa poche en faisant la potiche au premier rang d’un meeting de Ségolène Royal.

Par contre, en ce qui concerne la loi Hadopi, oublie ce que j’ai écrit un peu plus haut, l’artiste "de gauche" veut bien tout ce qu’on veut, mais sûrement pas être complice d’un pillage culturel inexcusable.

J’en veux pour preuve la lettre de rupture très officielle que certains artistes (de gôôôche, donc) viennent d’envoyer à Martine Aubry (qui, aux dernières nouvelles, serait Première Secrétaire du PS, mais on est jamais sûr de rien), et dans laquelle ils accusent ("J’accuse", c’est beau, c’est fort, c’est Zola qui rencontre la Sacem et prend la défense d’Universal Music, ça me met les poils au garde-à-vous tellement je suis émue) les socialistes de "promouvoir la dérèglementation, la loi de la jungle et du plus fort qui assassine la diversité culturelle" en s’opposant bêtement à la loi Hadopi. Pire: de tourner le dos "au refus d’un ordre purement marchand, à la protection du faible contre le fort" (le faible étant, tu l’as bien compris, la malheureuse multinationale de l’entertainment, livrée aux tout-puissants sauvageons de l’internet qui, contrairement à la dite multinationale réputée pour son altruisme, sont de barbares ultra-libéraux assoiffés de capital sonnant et trébuchant).

Bigre.

A les en croire, c’est Jaurès et Blum qu’on foule aux pieds.
C’est sur Mendès qu’on crache.
C’est Dreyfus qu’on déshonore une seconde fois (et sans doute Marc Bloch qu’on s’apprête à fusiller à nouveau, si, si).

En réalité, les artistes de gôôôôche, ils défendent des valeurs que le commun des mortels ne peut pas comprendre.
Eh bien oui.
Le quidam de base, qui télécharge illégalement un album de Maxime Le Forestier (sans doute l’un des chanteurs les plus piratés de la décennie), ne se rend absolument pas compte que ce faisant, il ruine littéralement les acquis sociaux et démocratiques que la Gauche, la vraie (celle des artistes, donc) a si difficilement et si douloureusement contribué à défendre.
Sache-le.
Robert, dans son petit salon de Sarcelles, quand il télécharge Bienvenue chez les Ch’tis, c’est Franco qu’il applaudit des deux mains.
Raymonde, quand elle pirate le dernier album de Madonna, c’est la mémoire de la Commune de Paris qu’elle flétrit, cette gourdasse.

D’où on peut en conclure que quand le gouvernement français coupera la connexion internet des fraudeurs sans que la Justice ait eu son mot à dire, quand ces mêmes fraudeurs devront dans le même temps s’acquitter du règlement mensuel de cette connexion (dont ils ne bénéficieront donc plus, mais il s’agit de ne pas vider les poches déjà maigrement remplies des fournisseurs d’accès à internet) et que même les courriers personnels de ces assassins de la diversité culturelle pourront éventuellement être lus (des fois qu’il y transiterait quelque fichier pas catholique), il s’agira là, non pas d’une inquiétante régression démocratique doublée d’un camouflet infligé à Dame Justice, mais bien d’une salutaire mesure républicaine "de gauche" qui, à n’en pas douter, sauvera la France d’un second affront munichois et, pourquoi pas, d’une future occupation allemande (je te signale que le bruit des bottes se rapproche, si l’on en croit Maxime Le Forestier et Michel Piccoli).

Il serait donc pas mal que les internautes français arrêtent un peu de dénoncer Jean Moulin et d’occire l’archiduc François-Ferdinand à chaque téléchargement illégal.


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