Menaces sur le pluralisme de l’information

Publié le 04 mai 2009 par Lozsoc

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Dans une tribune publiée ce 4 mai, le journaliste Edwy Plenel a annoncé qu’il est cité à comparaître avec son confrère Laurent Mauduit devant le Tribunal correctionnel de Paris suite, d’une part, à une plainte pour diffamation déposée par François Pérol – Président de la Caisse d’Epargne et de la Banque Populaire depuis mars 2009 et ancien secrétaire général adjoint de la présidence de la République – et, d’autre part, à dix plaintes déposées par l’ancienne direction des Caisses d’épargne, lesquelles ont été maintenues par François Pérol.

Le site d’information en ligne Mediapart, par l’intermédiaire de ses deux journalistes, avait mis en doute la légalité de la nomination de Monsieur Pérol à la tête des deux organismes financiers qui doivent être fusionnés et donner naissance à un grand groupe bancaire. Il est d’ailleurs prévu que l’Etat y injecte entre 4 et 5 milliards d’euros et prenne environ 20 % du capital du nouveau groupe. Comme l’écrit Plénel :

« [La nomination de François Pérol] était d’autant plus [illégale] qu’il avait déjà par le passé méconnu un avis de la Commission de déontologie lui interdisant de participer à la création de la banque Natixis ; et que la banque Rothschild lui avait versé fin 2006 un bonus du fait notamment de cette opération Natixis. »

L’interventionnisme direct de Nicolas Sarkozy dans cette nomination avait suscité ce qu’il est convenu d’appeler une affaire d’Etat avec, pour toile de fond, la très grave crise du système bancaire international et l’utilisation massive de fonds publics pour y remédier.

Selon Plenel :

« Cet interventionnisme élyséen, au mépris des règles élémentaires de déontologie de la fonction publique puisque M. Pérol fut, depuis l’origine, juge et partie dans ce dossier, confirmait l’ancienne et grande proximité des premiers cercles du sarkozysme avec les dirigeants déchus des Caisses d’épargne. »

Il reste à savoir désormais si le Tribunal correctionnel fera primer l’intérêt du public à être informé sur ce dossier par rapport au préjudice allégué par François Pérol et l’ancienne direction des Caisses d’épargne. Il devra déterminer si les informations, sur lesquelles le site Mediapart s’est fondé, sont fiables et sérieuses, et si les journalistes poursuivis se sont s’exprimés de bonne foi, dans le respect de la déontologie journalistique et sur base de faits exacts.

Nécessité du pluralisme

L’issue incertaine de cette procédure expose donc Mediapart à un risque financier important. Ce site y joue d’ailleurs peut-être sa survie. Elle pose aussi la question du rôle et de la place de la liberté d’expression dans notre pays. En effet cette liberté d’expression a une fâcheuse tendance à se réduire comme une peau de chagrin sous l’effet de la morgue procédurière du président de la République et de ses amis proches. Cette morgue s’est exprimée pour des faits anodins. Elle se manifeste aujourd’hui pour des faits autrement plus graves.

On peut s’interroger en outre sur le fait de savoir pourquoi Mediapart fait à présent l’objet d’un tel acharnement judiciaire. En effet, d’autres organismes de presse, sur support électronique ou papier, ont également participé, directement ou indirectement, à la polémique relative à la nomination de François Pérol et à l’opération de fusion que celui-ci doit superviser.

Il faut rappeler que, pour le pouvoir sarkoziste, Mediapart porte la tare inexpugnable d’avoir été soutenu, dès son lancement, par Ségolène Royal. Le 13 décembre 2007, l’ancienne candidate socialiste à l’élection présidentielle avait fait expédier aux quelques 200.000 internautes affiliés au site Désirs d’avenir une lettre de soutien au site d’Edwy Plenel. Dans son courrier, Ségolène Royal indiquait :

« Toutes les initiatives audacieuses qui tentent de changer la situation de la concentration de la presse méritent d’être soutenues, au nom de la liberté de l’information et du pluralisme.

C’est le cas du récent projet MediaPart, né de la rencontre entre des professionnels du journalisme et des spécialistes du Web, parmi lesquels Edwy Plenel, François Bonnet, Laurent Mauduit et Benoît Thieulin.

Présenté sur le site mediapart.fr , ce projet de site d’information participatif, financièrement indépendant et exigeant éditorialement, cherche à inventer une réponse ambitieuse « aux trois crises – démocratique, économique, morale – qui fragilisent l’information en France. »

Pour voir le jour d’ici mars 2008 et avoir les moyens de rester indépendant, MediaPart fait appel aux pré-abonnements, pour un montant de 9 € par mois (de 5 € pour les moins de 25 ans et les chômeurs).

Au nom du pluralisme des médias, je vous invite à leur donner leur chance en vous abonnant.

Merci de ce geste militant qui s’inscrit dans la logique de la démocratie participative.»

Précisons qu’il n’y avait absolument rien d’incongru dans cette démarche. En effet, on ne manquera pas de rappeler que l’hebdomadaire Marianne avait lui aussi obtenu, à ses débuts, le soutien de différentes personnalités du centre, de la droite et de la gauche.

Avec le procès qui s’annonce, c’est donc moins l’atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne de François Pérol ou de l’ancien Conseil d’administration des Caisses d’épargne qui est en jeu, que la garantie du pluralisme des médias et de l’information en France.