L'oncle Archibald dont il est question dans ce livre, paru aux éditions Zoé ( ici ), n'a rien à voir avec celui de
Brassens. J'ai pourtant été enclin à mettre ce livre d'Anne Brécart dans mon panier, lors de mon passage éclair au dernier Salon du livre de Genève ( voir mon 5 à 7 au 26ème Salon international du Livre et de la Presse de Genève ), parce que j'y ai vu comme
une correspondance avec ce prénom désuet employé par le poète de Sète dans une de ses chansons... qui parle de Sa Majesté la Mort.
Chaque année que Dieu fait, la narratrice se rend dans la vaste demeure de son oncle Archibald, une ferme, comme figée dans le temps, quelque part sur la route qui va de
Lausanne à Berne. Quand elle pénètre dans cette maison située au bord d'un lac, elle, qui vit le reste du temps en Suisse alémanique, se retrouve en fait en terre
étrangère, dans le monde romand du frère de sa mère. C'est pour elle une sorte de point fixe dans le temps et l'espace, tandis qu'avec ses parents elle nomadise d'une ville
l'autre et que le temps, gris et terne, s'écoule sans qu'il soit possible de le retenir :
J'ai douze ans et jusqu'à maintenant je n'ai jamais vécu plus de trois ans au même endroit. J'attends le prochain déménagement comme s'il s'agissait d'une
nouvelle saison.
Cet oncle Archibald est un curieux personnage. Le monde qu'il crée autour de lui est à l'image de sa vie. Il a hérité de
l'entreprise familiale et n'a pas su la conserver. Personne ne peut lui en vouloir de cette fatalité qui n'entame même pas sa dignité naturelle :
Le sort voulait que les autres accumulent, lui il se défaisait. En cela il était différent du reste du monde et il en tirait une satisfaction certaine.
Il émane de lui une tranquille assurance qui fait que l'on se sent bien à ses côtés. Sans doute parce que "rien ne peut menacer le rêve
d'Archibald", parce que, par sa seule volonté, ce qui est fragile semble tenir debout, et parce que, dans son monde, "l'appartenance à une
lignée et à un lieu est plus importante que l'individu". Sa solitude n'est qu'apparente.
Tous ces étés - plus tard d'autres saisons -, passés dans cette vieille maison, qui, bien qu'objet inanimé, a bien une âme, vont compter plus
dans l'apprentissage de la vie de la narratrice que les séjours à la ville où il n'est possible d'apprendre qu'une chose, vivre bêtement comme les autres. Elle veut de l'expérience, qui
devrait compter plus que les années. Elle sera servi.
Elle côtoiera la mort, le renoncement à vivre, l'indifférence au passé. Elle connaîtra la défloraison sans éveil à la volupté, l'abandon sans crier gare, l'incompréhension sans espoir de la
part de ceux pour qui les gens sont plus importants que l'harmonie des choses, les relations humaines préférables aux promenades solitaires dans la nature. Ce n'est qu'à la fin
pourtant, après s'être mise à ressembler de plus en plus à son oncle, qu'elle abordera de plain pied à son monde et trouvera le secret de l'immense apaisement qui n'a pas
besoin de lieu déterminé pour se manifester.
Inévitablement le lecteur fait sien le monde d'Archibald. Il ne peut manquer de se remémorer tel ou tel lieu familial où il a lui aussi appris les choses de la vie. La narratrice
écrit à la première personne. Non seulement elle raconte, mais elle participe à l'action. Du coup une complicité s'installe entre elle et lui, qui finit par participer. Grâce à son
écriture simple, sans fioritures, elle va à l'essentiel et elle le prend pour confident, très naturellement.
Francis Richard